
Serait-il si dommageable, et pas seulement parce que cela vient de ma vile personne, de ne retenir aujourd’hui de Keith Jarrett que ses caprices de diva qui font la joie et le délice des festivaliers pétomanes ou autres bronchiteux ?
[1]. Et quand bien même le pianiste s'est aussi taillé une reconnaissance mondiale justifiée comme improvisateur de premier rang à travers ses diverses prestations solos
[2], l'ancien sideman de
Miles Davis, identifiable à sa moustache et sa coupe afro durant les années 70, vaut sinon mieux, tout du moins plus, que ce personnage chantre d'un classicisme (d'une préciosité ?) auquel il s'attache depuis presque vingt ans avec son trio attitré (Gary Peacock et Jack DeJohnette) sur les scènes du monde entier
[3].
Durant un passage éclair chez Miles Davis au cours de l'année 1970 qui verra l'atrabilaire trompettiste jouer devant 600 000 personnes au festival de l'île de Wight, Jarrett s'essaie un temps à la fée électricité. Bref instant où la mémoire collective retiendra en premier lieu ses joutes sonores avec son compagnon de claviers et duelliste pour l’occasion Chick Corea sur
Miles Davis at Fillmore, puis seul aux commandes sur le
Live/Evil du même Davis
[4]. Mais l’année suivant, l’ancien sideman du saxophoniste Charles Lloyd décide de revenir à ses premiers amours, le jazz acoustique (ce qui ne l’empêcha pas par exemple, et sans aucun doute par amitié pour le trompettiste Freddie Hubbard, enregistrer encore quelques disques avec un piano électrique comme sur
Sky Dive en 1972 voire même en tant que leader sur
Ruta and Daitya avec Jack DeJohnette la même année). 1971, année qui vit le label Atlantic se séparer de Jarrett, non sans se mordre les doigts bien des années plus tard… Jarrett signant en novembre de la même année sur le jeune et prometteur label munichois de Manfed Eicher, ECM. Collaboration fructueuse et riche puisque cette décennie verra Keith Jarrett mener à bien deux quartettes distincts, l'un profondément ancré dans la culture américaine et l’autre avec en son sein trois musiciens européens (soit Jan Garbarek, Palle Danielsson et Jon Christensen).