Sorti le 18 mars 2014, Fragmentations, Prayers And Interjections présente le second volet des nombreux disques, qui devraient paraitre au cours de l'année, retraçant le marathon scénique et artistique que s'est offert John Zorn, en septembre dernier, à l'occasion de son soixantième anniversaire [1], et comme il l'avait déjà effectué dix ans plus tôt pour fêter ses cinq décennies. Après The Hermetic Organ, Vol. 2 publié le 21 janvier, ce nouveau disque issu d'un concert enregistré le 25 septembre 2013 au Miller Theatre de New-York, soit deux jours après celui à l'orgue à la St Paul's Chapel, se démarque de son prédécesseur par le type de formation proposée : un orchestre philharmonique. Depuis Aporias: Requia for Piano & Orchestra et sa pochette Francisbaconienne en 1998 et What Thou Wilt en 1999-2010 (on y reviendra), Zorn s'était en effet limité en matière de mouture classique à des ensembles plus réduits, à l'image du quatuor à cordes constitué de Jennifer Choi et Fred Sherry sur Magick (2005). En somme, une longue attente pour une surprise de taille.
L'album réunit quatre compositions jouées par l'Arcana Orchestra sous la direction de David Fulmer. La première, Orchestra Variations, fut commandée en 1996 par l'orchestre philharmonique de New York, tandis que celle qui clôt le disque, Suppôts et
Suppliciations, le fut par l'orchestre symphonique de la BBC en 2012. Du premier thème avant-gardiste, l'auditeur averti pourra ainsi difficilement négliger les insertions burlesques Texaveryiennes, variations rappelant un autre hommage, grindcore cette fois-ci, mené par deux musiciens justement proche du saxophoniste alto : le chanteur Mike Patton et le bassiste Trevor Dunn et le Suspended Animation (2005) de Fantômas.
Des deux autres thèmes suivant, le Zornophile sera en terrain connu. Contes de fées ouvrait déjà What Thou Wilt enregistré en 1999, mais paru seulement onze années plus tard. De même, Kol Nidre eut droit à plusieurs versions antérieures, une sur String Quartet et deux sur le double album Cartoon S&M entre 1999 et 2000. En guise de transition, l'ironique Contes de fées, porté par le violoniste Christopher Otto, évoque d'une certaine manière la dualité du précédent, le ludisme en moins. Et les stridences et autres ambiances cauchemardesques de ce conte zornien peuvent être perçues avec le déchirant Kol Nidre, comme les éléments d'une seule et même pièce dramatique. Mieux, cette lente plainte nostalgique bercée désormais par un orchestre après le quatuor à cordes de 1999, ces huit minutes tel qu'on pouvait s'y attendre y gagnent en émotion et en profondeur.
Inspiré du dernier recueil de textes rédigé par Antonin Artaud peu avant sa mort, Suppôts et
Suppliciations est la pièce maitresse et finale de Fragmentations, Prayers And Interjections. Zorn compose et tisse une toile aux multiples facettes entre douleur, révolte et mysticisme, où apparait par moment le fantôme d'un Stravinsky durant les moments les plus ombrageux et théâtraux. Composition spectaculaire en écho avec la dernière œuvre d'Artaud, le new-yorkais désarticule les structures, exacerbe une tension constante, cette dernière étant savamment entretenue par quelques déflagrations et déchirures aussi inattendues qu'explosives.
Du grand Zorn.
A défaut d'avoir la version orchestrale, voici celle parue sur String Quartet
Titres
01. Orchestra Variations / 02. Contes de fées / 03. Kol Nidre / 04. Suppôts et Suppliciations
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[1] A titre d'exemple, dans le cadre du festival parisien Jazz à la Villette, le saxophoniste joua trois concerts en une seule journée : de l'après-midi jusqu'au dernier à la Grande halle avec Marc Ribot, John Medeski, Mike Patton, Jamie Saft, Joey Baron, etc.
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