Depuis son adaptation [1] d'Enrico IV de Luigi Pirandello en 1984, Le Prince de Hombourg, d'après la pièce homonyme de Heinrich von Kleist [2], signait après treize ans d'absence le grand retour du cinéaste italien Marco Bellocchio au Festival de Cannes. En compétition officielle, le film ne fut pourtant jamais distribué dans l'hexagone. Une injustice, du moins un oubli, enfin réparée grâce à Carlotta qui distribue une œuvre majeure du maître italien, après un long sommeil de presque deux décennies, ce mercredi 1er juillet.
A la veille de la bataille de Fehrbellin, entre la Suède et le Brandebourg, le Prince de Hombourg (Andrea Di Stefano) est surpris en pleine crise de somnambulisme dans le jardin d'un château. A son réveil, il découvre dans sa main le gant de Nathalia (Barbora Bobulova), nièce de l'Électeur (Toni Bertorelli). Encore troublé par ce rêve devenu réalité, le Prince écoute distraitement le lendemain les instructions dictées par l’Électeur, chef de l'État et de l'armée. Il lui est ordonné de ne pas attaquer avant les ordres, sa fougue ayant déjà faire perdre auparavant deux victoires. Durant la bataille, le jeune commandant de la cavalerie brandebourgeoise apprend la mort de l'Électeur. Il décide de devancer l'ordre en attaquant l'infanterie suédoise, et remporte la victoire. Or l'oncle de sa future fiancée n'est pas mort, et souhaite que son indiscipline, malgré la victoire, soit punie en le mettant aux arrêts, avant que celui-ci ne soit jugé par une cour martiale.
Long métrage à la frontière de l'imaginaire et de l'inconscient, cette adaptation libre de la dernière pièce d'une des figures artistiques emblématiques du romantisme allemand aborde un thème clé de la filmographie du futur auteur de Vincere : la psyché et son exploration. De son propre aveu, Le Prince lui permit « d'outrepasser les confins de la conscience et voir avec les yeux du subconscient » ; l'angle psychanalytique de l'histoire, sommes-nous les spectateurs d'un rêve ou de l'émanation de la folie du Prince, n'est d'ailleurs pas étrangère à la précédente collaboration entre Bellocchio et le neuropsychiatre Massimo Fagioli [3]. Au cœur de cet onirisme, le jardin devient le point de basculement de ce rêve à demi-éveillé, dont la photographie de Giuseppi Lanci contribue fortement à cultiver cette atmosphère irréelle de nuit blanche.
Prenant le parti pris de condenser l'histoire originelle en proposant un film d'une durée de 85 minutes, et quitte à en imputer son dénouement initial, Bellocchio en capture néanmoins l'essentiel : la nature maudite de l'amour entre les deux jeunes fiancés, et la confrontation entre le libre arbitre et la conscience du Prince face à la supposée injustice, dont il serait la victime. De ce récit volontairement ramassé, et si le film garde un certain formalisme, le métrage évite toutefois les pièges du théâtre filmé grâce à une mise en scène inspirée. Mieux, d'une intensité rare, Le prince de Hombourg témoigne d'une beauté non feinte à l'image de sa troublante scène finale.
- Est-ce un rêve ?
- Un rêve, quoi d'autre ?
- Un rêve, quoi d'autre ?
Mariant habilement réalisme historique et romantisme littéraire, à l'image des costumes de Francesca Sartori évoquant davantage la mode Empire, quand la pièce fut écrite, que celle du XVIIème siècle, Le Prince de Hombourg peut également compter sur l'interprétation sans faille de son trio d'acteurs : l'acteur débutant, Andrea Di Stefano, incarnant idéalement ce personnage tourmenté, Toni Bertorelli, l'imperturbable Électeur, et la belle Barbora Bobulova. A noter enfin que le jeune duo fut à nouveau réuni en 2005 dans Cuore sacro du réalisateur turc Ferzan Ozpetek.
A découvrir pour la première fois sur grand écran depuis sa projection cannoise.
Crédits Photos : © 1996 FILMALBATROS S.R.L. / ISTITUTO LUCE S.P.A. Tous droits réservés.
Il principe di Homburg (Le prince de Hombourg) | 1997 | 85 min
Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio
Avec : Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova, Toni Bertorelli, Anita Laurenzi, Fabio Camilli, Gianluigi Fogacci
Musique : Carlo CrivelliDirecteur de la photographie : Giuseppe Lanci
Montage : Francesca Calvelli
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[1] Sa première adaptation d'une œuvre théâtrale fut, pour la télévision, La mouette d'Anton Tchekhov (Il gabbiano) en 1976.
[2] La pièce inspira également le film éponyme de Gabriele Lavia en 1984.
[3] Le diable au corps lui fut dédicacé, tandis qu'il collabora aux scénarios d'Autour du désir (La condanna) en 1991 et d'Il sogno della farfalla (1994).
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