Premier film chinois récompensé au Festival de Cannes en 1975, par l'obtention du Prix de la Commission supérieure technique, A Touch of Zen valut à son réalisateur King Hu une reconnaissance internationale, tout en faisant découvrir au monde le wu xia pan, ou le film de sabre chinois, soit l'illustre parent du film de kung-fu déjà popularisé quelques années auparavant à travers le globe par un certain Bruce Lee. Œuvre magistrale dont l'influence n'aura de cesse d'inspirer la jeune génération (Tsui Hark [1] et Ang Lee pour les plus connus), ce long métrage dont le tournage fut étalé sur plus de trois ans faillit pourtant connaitre un autre dessein. Tronqué lors de son exploitation, échec considérable lors de sa (première) sortie [2] à Taïwan, A Touch of Zen dut toutefois son salut à la ténacité du français Pierre Rissient, déterminé à reconstituer une copie entière du film, avant de le proposer au festival susmentionné, et de lui offrir par extension une nouvelle sortie sur ses terres en juillet 1975. Pour la première fois en version intégrale restaurée 4K, le film distribué par Carlotta ressort sur grand écran à l'occasion des quarante ans de sa projection cannoise.
Chine du XIVème siècle, durant la Dynastie des Ming, Gu Shengzai (Shih Chun), trentenaire vivant encore avec sa mère, exerce la profession de peintre et
d'écrivain public, au grand désespoir de cette dernière, celle-ci aspirant à le voir devenir fonctionnaire et marié. Habitant à côté d'une vieille citadelle, Gu craint depuis peu qu'elle ne soit hantée, avant d'apprendre par sa mère la venue d'une nouvelle voisine Yang Huizhen (Hsu Feng). Si la jeune femme ne laisse pas indifférent Gu, il apprend également qu'il n'est pas malheureusement le seul à s'y intéresser. Yang n'est autre que la fille d'un dissident du mouvement Donglin assassiné par la police politique du grand eunuque Wei, et depuis recherchée pour trahison par Ouyang Nin (Tien Peng), capitaine de la sinistre Chambre de l'Est...
Second film taïwanais de son auteur, après Dragon Inn (1967) et une première expérience à Hong Kong, pour la Shaw Brothers, parachevée par le classique du cinéma d'action L'hirondelle d'or (1966), A Touch of Zen marque une étape supplémentaire dans la filmographie de Hu. Fort du succès de ses anciens longs métrages, le cinéaste perfectionne ici une œuvre à l'envergure inédite, mélange les genres en apportant plusieurs dimensions à son ensemble.
Film composé en trois parties, chacune portée par un personnage différent, cette grande fresque de trois heures s'inscrit comme une introduction à la philosophie bouddhiste incarnée par le moine Hui-Yang. Le premier volet campe l'ingénu peintre Gu Shengzai et sa recherche des faux semblants entourant la venue de Yang Huizhen au centre du récit. La deuxième fraction présente par contre un Gu transfiguré, maître de son destin et de celui de ses compagnons en prenant les traits d'un fin stratège militaire, la belle Yang devenant dès lors le point d'attraction de ses ennemis, et le centre des attentions de ses alliés, Gu et les deux généraux Shih et Lu. Le dernier chapitre confère enfin au film, à travers la présence du moine interprété par Roy Chiao, une vision ambivalente, entre spiritualité et martialité, entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal.
De cette entreprise démesurée, riche en expérimentations
formelles et à l'esthétisme audacieuse, King Hu propose donc une œuvre totale. Aux confins des influences passées, étrangères, du film
de samouraï japonais d'Akira Kurosawa [3] aux «
westerns spaghetti » de Sergio Leone [4], à celles plus proches, provenant de l'opéra chinois dont la chorégraphie des combats en intègre les mouvements fluides à la limite du surnaturel, Hu s'émancipe pleinement, sans aucune contrainte, et libère autant le fond que la forme. A partir d'un récit qui porterait à croire que le sens épique des aventures décrites emporterait la balance, les choix du metteur en scène étonne encore de nos jours. Tandis que les intrigues se multiplient, Hu prend au contraire son temps, et épure au maximum le romanesque des situations, la romance entre Gu et Yang étant par exemple réduite à son strict minimum. D'une prodigieuse beauté, la photographie d'A Touch of Zen tend
ainsi à synthétiser habilement les aspects lumineux et sombres de
l'histoire, tant pour les scènes figuratives que pour les scènes
d'action à l'image du célèbre combat dans la forêt de bambou. Mieux, le cinéaste place la poésie des images au premier plan, pour mieux fondre vers l'abstraction dans sa dernière partie telles les visions psychédéliques qui accompagnent le final du film. Une dernière partie qui risque de sinon déstabiliser, au moins d'apparaître aux yeux de certains bien trop détachée voire indépendante du reste du métrage (la portion gravitant autour du solaire Hui-Yang prend davantage la forme d'un long épilogue qu'une véritable suite des deux précédents tableaux).
A noter que l'actrice Hsu Fung, qui commença sa carrière dans le précédent film du maître chinois, Dragon Inn, à l'instar de Shih Chun et Tien Peng, et avant de se consacrer à la production (Adieu ma concubine), fut à origine du financement de la restauration du long métrage, menée par le Taïwan Film Institute, et sous l'égide du
Ministère de la culture de Taïwan au Laboratoire L'Immagine Ritrovata.
Un classique du cinéma à redécouvrir avant la sortie dans les salles en version restaurée du précédent Dragon Inn à partir du 12 août.
Crédits Photo : © CARLOTTA FILMS. Tous droits réservés.
Xia Nu (A Touch of Zen) | 1971 | 180 min
Réalisation : King Hu
Production : Sha Yung Fong
Scénario : King Hu, d’après "Contes étranges du studio du bavard" de Pu Songling
Avec : Hsu Feng, Shih Chun, Bai Ying, Tien Peng, avec la participation de Roy Chiao
Musique : Wu Dajiang
Directeur de la photographie : Hua Hui-Ying
Montage : King Hu
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[1] Après une longue pause, King Hu est revenu à la réalisation en 1990 en co-signant avec l'un de ses fans, Tsui Hark, The Swordsman.
[2] Décision invraisemblable, encore en cours de tournage, le studio taïwanais décida de sortir une première version du film.
[3] Le genre wu xia pan profita de la nouvelle popularité du film de samouraï japonais pour connaitre un nouveau souffle.
[4] Moins prégnante sur ce film, l'influence de Leone est flagrante sur Dragon Inn. Chronique à venir.
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