Après un premier long métrage et une première incursion dans le genre du western en 1958, dans Le gaucher avec Paul Newman dans le rôle de Billy The Kid, qui se solda par une expérience des plus mitigées, tant critique que public, plus des premiers rapports difficiles avec une major [1], la Warner Bros., le cinéaste Arthur Penn, fort du succès de Bonnie et Clyde, trois ans plus tôt, revint en 1970 au genre avec l'adaptation du roman éponyme de Thomas Berger, Little Big Man (Mémoires d'un visage pâle dans sa version française). Entreprise de démystification de l'histoire des Etats-Unis, tant sur la forme que sur le fond, le long métrage s'inscrivit comme le premier acte de films remettant en cause la conquête de l'Ouest, et les velléités des colons blanc en abordant la question amérindienne [2], avant l'année suivante du Soldat bleu de Ralph Nelson [3] ou Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Un classique désormais de retour au cinéma le 20 juillet 2016 dans une version restaurée inédite.
Dans un hôpital, Jack Crabb (Dustin Hoffman), 121 ans, est le dernier survivant de la bataille de Little Bighorn qui vit la victoire des Indiens sur les troupes du général Custer (Richard Mulligan). Il raconte à un journaliste sa vie, du massacre de ses parents par les Indiens Pawnees, à son adoption par les Cheyennes, où il reçut le surnom de Little Big Man par son grand-père adoptif Peau de la Vieille Hutte (Dan George), puis son retour parmi les Blancs, jusqu'à son enrôlement dans l'armée de Custer durant les guerres indiennes…
Père spirituel du Nouvel Hollywood, et pionnier du western révisionniste, en attendant John McCabe de Robert Altman ou l'épitaphe du genre, La Porte du Paradis de Michael Cimino, Arthur Penn livre avec Little Big Man son second coup de poing à l'establishment après le récit du couple Barrow / Parker. Du scénario écrit par Calder Willingham (Les Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick), Penn filme ici les aventures picaresques d'un anti-héros, tiraillé entre la culture dont il a hérité, et celle qu'il a adopté. Western contant le récit d'apprentissage d'un jeune Candide de l'Ouest, Arthur Penn s'éloigne par conséquent du traditionnel film d'aventure situé en plein far west, pour aborder d'autres registres, de la comédie à la satire, de la tragédie au brûlot engagé.
Tournant en dérision le early american way of life et les figures de la conquête de l'Ouest, de l'épouse nymphomane du révérend Pendrake campée par la séduisante et désopilante Faye Dunaway devenue prostituée, au légendaire Wild Bill Hickok tué par un jeune garçon, le metteur en scène étasunien n'oublie pas d'évoquer les heures les plus sombres de cette histoire avec le portrait de Custer en officier mégalomane sanguinaire (bien loin des versions romancées de Raoul Walsh dans La Charge fantastique en 1941 avec Errol Flynn ou celle de Robert Siodmak dans Custer, l'homme de l'ouest en 1967 avec Robert Shaw). Car si Little Big Man n'est pas le premier film à prendre fait et cause pour le peuple amérindien, à l'instar du Massacre de Fort Apache (1948) ou des Cheyennes (1964) de John Ford qui critiquaient déjà à l'époque la corruption et la vanité des officiers yankees, le rôle des colons sur le sort réservé aux indiens, celui-ci est bien le premier à traiter l'histoire du point de vue du seul peuple indien, quitte à prendre quelques libertés [4] pour mieux appuyer son propos, soit présenter les guerres indiennes comme un génocide perpétré par l'armée américaine. Mieux, en évoquant à l'instar du métrage de Ralph Nelson, le contexte contemporain de la Guerre du Vietnam (le massacre de la Wishita est une référence directe à celui de Mỹ Lai perpétré par les GIs en 1968), Arthur Penn signe, sous couvert d'un western initiatique, un film anti-belliciste.
Porté par un saisissant Dustin Hoffman et une galerie de seconds rôles haut en couleur (Faye Dunaway, Martin Balsam, Richard Mulligan), la révélation de ce film est toutefois à porter au crédit de Dan George [5], dans la peau du sage chef indien de la tribu des « êtres humains ». A l'opposé de leur supposée sauvagerie propagée par les hommes blancs dits civilisés, Little Big Man n'a d'autre ambition que de rendre hommage au peuple amérindien et à sa culture, face à l'intolérance et à l'ignorance du colonisateur blanc.
Tour à tour hilarant, émouvant, parodique, violent, humaniste, les qualificatifs ne manquent toujours pas pour définir ce classique du cinéma.
Crédits photo : © 1970 Hiller ProductionS, LTD. and Stockbridge Productions, Inc. Tous droits réservés.
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Little Big Man | 1970 | 139 min
Réalisation : Arthur Penn
Production : Stuart Millar
Scénario : Calder Willingham, d'après le roman de Thomas Berger
Avec : Dustin Hoffman, Faye Dunaway, Dan George, Martin Balsam, Richard Mulligan, Jeff Corey, Amy Eccles
Musique : John Hammond Jr.Montage : Dede Allen
Directeur de la photographie : Harry Stradling Jr.
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[1] Penn collectionna durant sa carrière des rapports conflictuels avec les studios : il fut ainsi plusieurs fois écarté du montage de ses propres films (dont La poursuite impitoyable).
[2] Sans oublier Les Cheyennes, dernier western de John Ford, basé sur l'exode des Cheyennes entre 1878 et 1879.
[2] Sans oublier Les Cheyennes, dernier western de John Ford, basé sur l'exode des Cheyennes entre 1878 et 1879.
[3] Le soldat bleu qui fut par la suite une grande source d'inspiration (sur la forme, nullement sur le fond !) pour le duo italien Bruno Mattei et Claudio Fragasso dans leur second western 80's : Scalps.
[4] Le massacre de la Wishita du film évoque davantage celui de Sand Creek (évoqué également dans Le soldat Bleu) où un village composé principalement de femmes, d'enfants et de vieillards furent massacrés par la cavalerie.
[5] Chief Dan George sera nominé l'année suivante aux Oscars et aux Golden Globes, et obtiendra le prix du meilleur second rôle par la National Society of Film Critics Awards.
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