Treizième long métrage du réalisateur philippin Lino Brocka, d'une filmographie débutée tout juste cinq années auparavant et qui en comptera pas moins soixante avant la mort prématurée de son auteur en 1991, Manille s'inscrit idéalement dans le cinéma indépendant de l'archipel. Fort d'un premier gros succès populaire en 1974 nommé Tinimbang ka ngunit kulang (inédit en France), portrait sans concession de la société philippine sous la dictature de Ferdinand Marcos, Brocka réalise dans la foulée deux films qui lui ouvriront désormais les portes de l'international : Manille en 1975 et Insiang en 1976 qui sera présenté au Festival de Cannes de 1978 (à la Quinzaine des Réalisateurs). Considéré comme un des chefs d'œuvre du cinéma philippin, Manille ressort dans les salles le 7 décembre prochain dans une version restaurée effectuée par La Cineteca di Bologna / L'Immagine Ritrovata [1], et supervisée par le directeur de la photographie du film, Mike de Leon.
Jeune provinciale de 21 ans, Júlio Madiaga (Rafael Roco Jr.) a quitté son île natale, Marinduque, afin de retrouver sa fiancée, Ligaya Paraiso (Hilda Koronel), dont lui et sa famille n'ont plus de nouvelles. A la recherche de sa bien-aimée, l'ancien pêcheur, à court d'argent, se fait embaucher comme ouvrier sur un chantier où il fait la connaissance d'Atong (Lou Salvador Jr.), collègue embauché cinq semaines plus tôt. Julio découvre peu à peu l'univers du sous-prolétariat à Manille entre prostitution, corruption et pauvreté extrême. Un jour, tandis que Julio accompagne Atong au marché pour acheter une chemise, Julio aperçoit la dénommée madame Cruz, la femme qui est responsable du départ de Ligaya pour Manille.
Adaptation d'un roman d'Edgardo Reyes intitulé en français Dans les griffes du néon, Manille s'inspire ouvertement du mythe d'Orphée, parti à la recherche d'Eurydice au royaume des Enfers. Loin de la relecture musicale et poétique d'Orfeu Negro de Marcel Camus, le cinéaste dresse ici un réquisitoire à charge envers le régime dictatorial de Marcos et la situation désastreuse qui existe dans les quartiers pauvres de la capitale. De la perte de l'innocence de son personnage principal, de sa condition d'ouvrier exploité à celle de prostitué, au destin tragique de sa compagne vendue comme esclave sexuelle, Lino Brocka dépeint la cité comme un monstre tentaculaire qui dévore ses enfants les plus faibles. Implacable, cruel, le verdict est sans appel pour celles et ceux qui seraient fascinés par les lumières artificielles de Manille.
Principal instigateur du projet, le producteur et chef opérateur Mike de Leon signe une photographie en accord avec la mise en scène dichotomique de Lino Brocka, soit une stylisation de l'image en opposition avec la crudité de l'histoire. Caméra subjective, flashbacks stroboscopiques en guise de shoots mémoriels, le canevas néo-réaliste de départ se mue en une expérience cinématographique transcendant le réalisme social originel et le mélodrame traditionnel philippin. Récit frontalement pessimiste et anxiogène, Manille laisse, on l'aura vite compris, peu de place à l'espoir, chaque brèche se refermant brutalement sur elle-même, telle l'annonce de la mort d'Atong ou le sort réservé à sa sœur, chacune victime de la corruption et de la prostitution qui règnent dans les bas-fonds manillais ; quant aux chances d'ascension sociale, si celles-ci existent, ces dernières font basculer l'ancien opprimé en nouvel oppresseur.
Adaptation d'un roman d'Edgardo Reyes intitulé en français Dans les griffes du néon, Manille s'inspire ouvertement du mythe d'Orphée, parti à la recherche d'Eurydice au royaume des Enfers. Loin de la relecture musicale et poétique d'Orfeu Negro de Marcel Camus, le cinéaste dresse ici un réquisitoire à charge envers le régime dictatorial de Marcos et la situation désastreuse qui existe dans les quartiers pauvres de la capitale. De la perte de l'innocence de son personnage principal, de sa condition d'ouvrier exploité à celle de prostitué, au destin tragique de sa compagne vendue comme esclave sexuelle, Lino Brocka dépeint la cité comme un monstre tentaculaire qui dévore ses enfants les plus faibles. Implacable, cruel, le verdict est sans appel pour celles et ceux qui seraient fascinés par les lumières artificielles de Manille.
Principal instigateur du projet, le producteur et chef opérateur Mike de Leon signe une photographie en accord avec la mise en scène dichotomique de Lino Brocka, soit une stylisation de l'image en opposition avec la crudité de l'histoire. Caméra subjective, flashbacks stroboscopiques en guise de shoots mémoriels, le canevas néo-réaliste de départ se mue en une expérience cinématographique transcendant le réalisme social originel et le mélodrame traditionnel philippin. Récit frontalement pessimiste et anxiogène, Manille laisse, on l'aura vite compris, peu de place à l'espoir, chaque brèche se refermant brutalement sur elle-même, telle l'annonce de la mort d'Atong ou le sort réservé à sa sœur, chacune victime de la corruption et de la prostitution qui règnent dans les bas-fonds manillais ; quant aux chances d'ascension sociale, si celles-ci existent, ces dernières font basculer l'ancien opprimé en nouvel oppresseur.
Porté par le jeune Rafael Roco Jr [2] et Hilda Koronel, déjà présente dès le premier film de Brocka, Wanted: Perfect Mother, Manille conforte la figure engagée du cinéaste. Véritable film coup de poing, à l'image de sa conclusion brutale et désespérée [3].
Crédit Photos: © 1975 THE FILM FOUNDATION /
THE FILM DEVELOPMENT COUNCIL OF THE PHILIPPINES. Tous droits réservés.
Maynila : Sa mga kuko ng liwanag (Manille) | 1975 | 127 min
Réalisation : Lino Brocka
Production : Severino Manotok Jr. & Miguel de Leon
Scénario : Clodualdo del Mundo Jr d'après le roman "Sa mga kuko ng liwanag" d'Edgardo Reyes
Avec : Hilda Koronel, Bembol Roco (Rafael Roco Jr), Lou Salvador Jr, Tommy Abue, Joonee Gamboa, Pio De Castro III
Musique : Max Jocson
Directeur de la photographie : Miguel de Leon
Montage : Ike Jarlego Jr. & Edgardo Jarlego
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[1] Ces derniers étant déjà responsables de la restauration de Il était une fois en Amérique de Sergio Leone ou d'Études sur Paris d'André Sauvage.
[2] Avant qu'il ne porte le nom Bembol Roco et ne devienne une star du cinéma de l'archipel.
[3] Coïncidence fortuite ou non, le règlement de compte final n'est pas sans rappeler celui du Taxi Driver de Martin Scorsese.
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