Grand Prix du Jury au Festival de Cannes en 1970 et Oscar du meilleur film étranger en 1971, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon afficha un tournant dans la filmographie du cinéaste italien Elio Petri. Premier volet de sa « Trilogie de la névrose », née de la collaboration avec l'écrivain Ugo Pirro, avant La classe ouvrière va au paradis (« la névrose du travail ») et La Propriété, c'est plus le vol (« la névrose de l'argent »), ce long métrage dédié à la « névrose du pouvoir » s'inscrivait de manière plus large dans la dynamique politique prise par le cinéma italien, depuis les années 60, dans le sillage des œuvres de Francesco Rosi. Marqué par l'engagement politique de Petri, ce dernier considérant le cinéma aussi bien comme un espace de dénonciation, de confrontation et d'apprentissage, le film n'a rien perdu de son acerbe acuité et de sa clairvoyance plus de quatre décennies après sa sortie. Portrait corrosif et amer de la société italienne à l'orée des « années de plomb », Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ressort dans sa version restaurée dans une nouvelle édition en Blu-ray et DVD le 12 juillet 2017 dans le cadre de la Collection cinéma italien [1] éditée par Carlotta.
Italie, au début des années 70, le chef de la brigade criminelle surnommé «
le docteur » (Gian Maria Volontè) est
nommé au poste de directeur de la section politique. Le jour de sa promotion, il égorge sa
maîtresse Augusta Terzi (Florinda Bolkan) chez elle au cours de leurs joutes amoureuses. Persuadé que ses fonctions le placent au-dessus des lois, il met tout en œuvre pour prouver que personne
n'aura l'intelligence, ni même l'audace, de le soupçonner et ainsi de troubler
la bonne hiérarchie sociale...
"Je voulais faire un film sur la police, mais à ma façon" confiait Elio Petri à propos d'Enquête sur un citoyen. Moins de dix ans après son premier film, L'Assassin (1961) avec Marcello Mastroianni, Petri dressait une nouvelle satire kafkaïenne de la société italienne. Différence notable, si le long métrage de 1961 gardait encore une certaine légèreté en dépit de son sujet glissant à mesure vers l'absurde et le roman noir, Enquête s'en écartait au profit d'une lecture des tensions que connaissait l'Italie de l'année 1969. Grèves des ouvriers, manifestations des étudiants, la contestation était au cœur de la société transalpine à la fin de la décennie. Réalisé durant ce climat d'instabilités politiques, reflet du malaise croissant et de la défiance vis à vis des institutions, Enquête annonçait également avec quelques mois d'avance, de manière quasi prophétique ce que l'on appellera « la stratégie de la tension » après le massacre de Piazza Fontana à Milan (en 12 Décembre 1969), soit deux mois avant la sortie dans les salles en Italie du film. Troublant.
Relecture grinçante de L'Assassin sous l'angle de l'autorité policière, le scénario d'Enquête se joue comme son modèle de l'intrigue criminelle, prétexte cette fois-ci à disséquer et à dénoncer les manipulations ourdies par le personnage incarné par Gian Maria Volontè. Les dix premières du film ne cachent ainsi nullement l'identité du meurtrier, et encore moins les intentions de ce dernier bien que son amante, amatrice de jeux érotiques morbides, ignore leurs véritables natures : "Tu me tues comment, aujourd'hui ?" "Je te tranche la gorge". Composé de flashbacks, le récit retrace ainsi à contre-courant la relation ambiguë et perverse entre « le docteur » et sa future victime Augusta Terzi. Humilié et moqué par son infidèle et méprisante maîtresse, "Tu fais l'amour comme un enfant parce que tu es un enfant !", le futur directeur de la section politique, "Je représente le pouvoir", va prendre sa revanche en se plaçant au-dessus du système tel un héros Dostoïevskien.
Seconde collaboration entre Volonté et Petri après À chacun son dû (1967), Enquête signait également le retour au cinéma de l'acteur après une pause théâtrale, retour actant désormais son ambition de ne plus jouer que dans des projets en adhésion avec ses opinions politiques (il tournera la même année dans Le vent d'est de Jean-Luc Godard). Film dénonçant la mise en place d'un appareil répressif (les nombreuses écoutes téléphoniques) et les conditions qui amèneraient à favoriser l'émergence d'un État autoritaire (ou la future définition de la « stratégie de la tension »), Petri n'en demeurait pas moins critique envers l'efficience des mouvements révolutionnaires "Même en prison, ils sont divisés" (l'extrême-gauche ne lui pardonnant pas d'ailleurs d'avoir stigmatisé leurs divisions à l'écran). Lucides, le cinéaste et le scénariste ne manquèrent non plus de clairvoyance quant au futur destin de ces mêmes groupuscules manipulés, incarnés dans le film par le jeune anarchiste Antonio Pace (Sergio Tramonti). Témoin de la culpabilité de l'ex-chef de la brigade criminelle, ce voisin et second amant d'Augusta Terzi pense pouvoir faire chanter celui qu'il nomme le « criminel à la tête de la répression ». Mais comme l'indique la fin du film, non content d'être vain, ce chantage perpétré par cet « ennemi » qui se dresse contre la police, le pouvoir et Dieu devrait sans aucune doute signer sa future perte.
Allégorie des « années de plomb », œuvre radicale portée par la performance habitée de Gian Maria Volontè et par la musique hypnotique d'Ennio Morricone, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon marque encore les esprits.
Un des plus grands films italiens des années 70.
Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) | 1970 | 115 min
Réalisation : Elio Petri
Production : Marina Cicogna, Daniele Senatore
Scénario : Elio Petri, Ugo Pirro
Avec : Gian Maria Volontè, Florinda Bolkan, Gianni Santuccio, Orazio Orlando, Sergio Tramonti, Arturo Dominici, Salvo Randone
Musique : Ennio Morricone
Directeur de la photographie : Luigi Kuveiller
Montage : Ruggero Mastroianni
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[1] La dixième victime (1965) d'Elio Petri avec Marcello Mastroianni et Ursulla Andress ressort dans la même collection le 12 juillet.
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