The Last Movie - Dennis Hopper (1971)

Second long métrage de Dennis Hopper, lauréat du Prix CIDALC [1] à la Mostra de Venise en 1971, The Last Movie a acquis au fil du temps un statut culte paradoxal auprès des cinéphiles. D'un titre prémonitoire, annonçant le futur exil hollywoodien d'une dizaine d'années de l'acteur/cinéaste, à la légende gravitant autour du film, de son tournage chaotique aux difficultés rencontrées entre Hopper et Universal, The Last Movie s'apparente à un OFNI dans le paysage cinématographique américain. Quasiment invisible pendant de longues années, le film ayant connu en 1971 une sortie ultra-confidentielle devant le refus du réalisateur de revoir sa copie, et son montage final, auprès de ses commanditaires, The Last Movie sort pour la première fois en version restaurée le 18 juillet au cinéma dans l'hexagone.        

Une équipe de cinéma est venue tourner un western dans un village péruvien niché dans les Andes. Une fois le film terminé, tous les Américains s'en vont, à l'exception de Kansas (Dennis Hopper), l'un des cascadeurs, qui souhaite prendre du recul vis-à-vis d'Hollywood et s'installer dans la région avec Maria (Stella Garcia), une ancienne prostituée. Les choses dégénèrent lorsque les habitants décident de tourner leur propre film : les caméras, les perches et les projecteurs sont faux, mais la violence qu'ils mettent en scène est, elle, bien réelle. Kansas va se retrouver héros malgré lui de cette « fiction »…


Basé sur l'expérience personnelle de Dennis Hopper lors du tournage des Quatre fils de Katie Elder (1965) de Henry Hathaway, quand celui-ci fut frappé par le débordement dudit tournage sur le village mexicain, l'acteur confia le scénario à Stewart Stern, avec l'idée d'imaginer des autochtones dans l'incapacité à retrouver leur vie d'avant. Fort du gigantesque succès de son premier film, Hopper put convaincre aisément Universal de financer son projet, pour un tournage débutant en janvier 1970 dans le village péruvien de Chinchero. En compagnie d'amis, de proches et autres vedettes, de Samuel Fuller dans son propre rôle, Peter Fonda, Dean Stockwell ou Kris Kristofferson, le tournage improvisé se fit au gré des diverses influences psychotropiques et autres débordements sexués des protagonistes. Quarante heures de rushes plus tard, Hopper quittait le Pérou pour le Nouveau-Mexique où il s'attelait à la postproduction et au montage de son film. Soutenu par le réalisateur surréaliste Alejandro Jodorowsky dans sa démarche, Hopper détruisit la première version de son montage, qu'il jugeait trop conventionnelle pour en livrer une nouvelle version déconstruite et désordonnée. Épilogue : d'un grand studio qui espérait récolter les fruits lucratifs du succès indie d'Easy Rider, Universal se trouva fort dépourvu à la vision du montage final de The Last Movie [2].

Pensé du propre aveu par le réalisateur, "comme un peintre expressionniste abstrait (qui) utiliserait la peinture comme de la peinture", le cinéma de Dennis Hopper n'avait nulle vocation à couvrir les attentes de ses commanditaires ou les aspirations d'un public ayant soif de divertissement. Appel à la destruction du mythe hollywoodien, peinture au vitriol de l'american way of life et de l'impérialisme étasunien, film dans le film, The Last Movie se distingue également par sa forme à rebrousse-poil. Du refus de la chronologie, négation des raccords, frontières floues entre la fiction et la réalité, le long métrage assume son caractère chaotique, métaphorique et libertaire.


Tourné et, sans aucun doute, également, monté dans un état second, The Last Movie n'en demeure pas moins une expérience cinématographique de son temps. Or, toutes les bonnes intentions ne suffisent pas. Film photographié par le talentueux chef opérateur László Kovács (Easy Rider, Five Easy Pieces, New York, New York), sa complexité artificielle décidée en salle de montage ne convainc pas totalement. D'un récit semblable à un puzzle, où la chronologie des événements dépasse le cadre linéaire du récit traditionnel, Dennis Hopper déclarait que le film "devrait faire un peu penser à Godard", tandis que la parenté vers le Nouveau cinéma d'Alain Resnais et son Je t'aime je t'aime apparait au contraire des plus évidentes. Mais l'abstraction signée Hopper laisse toutefois un goût d'inachevé, l'absence de rythmes ou de progression dans le récit n'y étant sans aucun doute nullement étrangère ; reste un matériau brut de décoffrage, un film hallucinatoire à l'image des séquences du faux tournage mis en scène par les villageois péruviens.

A découvrir.





Crédit photos : © 1971 HOPPER ART TRUST, 2018 PACIFIC MOTION PICTURE COMPANY INC. Tous droits réservés.


The Last Movie | 1971 | 108 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Dennis Hopper
Scénario : Stewart Stern, d'après une histoire originale de Dennis Hopper et Stewart Stern
Avec : Dennis Hopper, Stella Garcia, Don Gordon, Peter Fonda, Samuel Fuller, Kris Kristofferson, Michelle Phillips, Dean Stockwell, Russ Tamblyn, Julie Adams, Tomas Milian, Daniel Ades
Musique : Severn Darden, Chabuca Granda, Kris Kristofferson, John Buck Wilkin
Directeur de la photographie : László Kovács
Montage : David Berlatsky, Antranig Mahakian
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[1] Comité international pour la diffusion artistique et littéraire par le cinématographe.

[2] On reste cependant très éloigné de l'accident industriel, le film ayant coûté au studio moins d'un million de dollars, ce qui n'empêcha pas Hopper d'être mis sur la liste noire des grands studios pendant une dizaine d'années.

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