"Voici l'histoire d'Howard Beale (Peter Finch), le présentateur du journal télévisé d'UBS. Il fut un temps où Howard Beale était un mandarin de la télé, le grand monsieur du journal, avec un audimat de 16, une part d'audience de 28. Mais en 1969, la roue commença à tourner. Sa part d'audience tomba à 22. L'année suivante, sa femme décéda. Il était veuf, sans enfant, avec un audimat de 8 et une audience de 12. Il devint morose, s'isola, et se mit à boire plus que de raison. Le 22 septembre 1975, on le licencia avec deux semaines de préavis...". Désespéré, Howard Beale annonce son suicide en direct à la télévision. Dès lors, sa cote de popularité explose et Diana Christensen (Faye Dunaway), responsable de la programmation, lui donne carte blanche pour animer sa propre émission…
Fruit de l'angoisse, de l'anxiété et de la paranoïa (n'en rajoutez plus) de Paddy Chayefsky, Network ne s'embarrasse pas de demi-teintes. Du ressentiment de l'ancien scénariste qui fit ses débuts durant l'âge d'or de la télévision US, au cours des années 50, Chayefsky livre ici un concentré de colère, sinon d'aigreur, où sont visés la course à l'audimat et le pouvoir corrupteur du petit écran. Satire envers l'industrie télévisuelle, Network se distingue, enfin, on l'aura compris, à la lecture de son synopsis, par son humour grinçant.
"Si quelqu'un peut contempler cet abattoir dégénéré qu'est le monde, et dire que l'homme est noble croyez-moi, cet homme-là déconne". Au lendemain de son annonce [1], Howard Beale pète les plombs, et se lance dans une diatribe, première d'une longue série qui deviendra le produit d'appel d'un programme phare imaginé par la brillante et ambitieuse Diana Christensen, nouvelle directrice de l'information, anciennement en charge de la grille des programmes du réseau UBS. "Je suis en colère et je ne vais plus accepter ça". Devenu le "prophète en colère des ondes", Beale fulmine chaque soir, du lundi au vendredi, contre les hypocrisies de son époque, son show crevant le plafond de l'audimat.
Film à charge contre les futurs excès de la production télévisuelle, le scénario de Chayefsky reste, quatre décennies après sa sortie, d'une brûlante actualité tant celui-ci pointe les maux de la télévision moderne. Créatrice d'une émission intitulée L'Heure Mao Tsé-toung, Christensen invente une série basée sur des faits authentiques de terrorisme filmés et "pris sur le vif", inspirée par l'attaque de la Bank of Arizona par l'Armée œcuménique de libération quelques temps plus tôt. De la réalité à la fiction, le concept de télé-réalité vient de naitre. Prophétisant l'avènement de l'infodivertissement et des chaines d'information type Fox News, Network, sous couvert de verser dans la farce, dresse un constat glaçant, exaspérant, le mot est faible, et égratignant les journalistes et la représentation caricaturale de leur univers.
Dernière accusation de Chayefsky, le récit dénonce les sociétés qui contrôlent désormais les conglomérats médiatiques américains, à l'image de la Communications Corporation of America (CCA), nouveau propriétaire d'UBS. "Nous ne vivons plus dans un monde fait de nations et d'idéologies. Le monde est un corps de sociétés... inexorablement régi par les lois immuables des affaires " indique Arthur Jensen (Ned Beatty) à un Howard Beale médusé, futur porte-parole de cette pensée néo-libérale [2]. D'un Chayefsky se servant d'un média de masse pour en accuser un autre, en omettant que la majeure partie des majors hollywoodiennes, dont la MGM et United Artists coproducteurs du long métrage, furent également rachetées au cours de la décennie précédente par des conglomérats et autres holdings [3], le film laisse dès lors libre court à sa paranoïa [4] en ciblant, pêle-mêle, la malédiction des investissements étrangers (saoudiens) dans l'économie US, l'infériorité des journaux télévisés par rapport à la presse écrite, la récupération et l'inefficience des révolutions, etc.
D'un tournage débuté en janvier 1976, la mise en scène de Sidney Lumet est aussi discrète qu'efficace, le réalisateur de Serpico filmant au plus près ces protagonistes. Adoptant un style proche du documentaire, Lumet fait du spectateur le témoin privilégié de l'incident initial qui occupe le rôle de détonateur, et de lien entre les différents personnages de l'histoire. D'une première partie centrée sur Peter Finch, le récit se concentre par la suite davantage autour de Max Schumacher (William Holden), ancien directeur de l'information d'UBS et ami de Finch, quinquagénaire au bord de la rupture, qui se jette, sans espoir, dans une "passion de vieillesse", abandonnant épouse [5] et foyer, la folie du début du cédant sa place à la désillusion et à l'amertume.
Disponible également en Blu-ray et DVD, le film contient, en guise de suppléments, un documentaire inédit du réalisateur Sidnet Lumet. Le coffret Ultra Collector inclut, quant à lui, le livre inédit Fou de rage, relatant la genèse de Network et le portait de son scénariste par le journaliste du New York Times Dave Itzkoff.
Satire prophétique, pamphlet cruel, critique féroce de la télévision marquée par les dialogues de Chayefsky et l'interprétation incisive de ses acteurs (dont un Oscar pour Peter Finch et Faye Dunaway), Network est à (re)découvrir.
"C'était l'histoire d'Howard Beale, le premier homme qui a été tué parce que son audimat était médiocre."
PS : Gifs provenant du site fromthemotionpicture.tumblr.com
Network (Network, main basse sur la TV) | 1976 | 121 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Sidney Lumet
Production : Fred C. Caruso et Howard Gottfried
Scénario : Paddy Chayefsky
Avec : Faye Dunaway, William Holden, Peter Finch, Robert Duvall
Musique : Elliot Lawrence
Directeur de la photographie : Owen Roizman
Montage : Alan Heim
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[1] Annonce faisant écho au drame survenu le 15 juillet 1974 quand Christine Chubbuck, présentatrice de la matinale Suncoast Digest sur la chaine locale en Floride
WXLT-TV40, se
tira une balle dans la tête en direct.
[2] Qui n'est pas sans évoquer par exemple l'un des discours les plus significatifs d'Eugenio Cefis, apôtre du néo-libéralisme en Italie, «
Ma patrie s'appelle multinationale », prononcé en 1972 à l'Académie militaire de Modène, ou encore le film de science-fiction Rollerball (1975) de Norman Jewison dans un monde où les nations ont disparu au profit de cartels économiques planétaires.
[3] Universal fut racheté en 1962 par MCA,
Paramount en 1966 par Golf + Western, United Artists en 1967 par la Transamerica Corporation, etc.
[4] A noter que le dernier film tiré des écrits du scénariste n'est autre que le supra barré Altered States (Au-delà du réel) de Ken Russell.
[4] A noter que le dernier film tiré des écrits du scénariste n'est autre que le supra barré Altered States (Au-delà du réel) de Ken Russell.
[5] Scène de rupture qui vaudra à son interprète Beatrice Straight, l'Oscar du meilleur second rôle féminin (pour seulement cinq minutes de présence).
C'est en effet un film à redécouvrir tant il reste d'actualité 43 ans après, ou quand le Grand Capital "se propose" de concocter nos programmes télé...
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