Force est d'admettre, et au-delà de la formule qui pourrait aisément paraitre facile, les albums de Miles Davis des années 80 ont loin d'avoir la même fulgurance que ceux du passé. Décennie des plus paradoxales, à savoir celle du retour inespéré et de la starification, les disques 80's du ténébreux trompettiste souffrent de la comparaison. Or, Aura, son dernier album pour la Columbia enregistré en 1985 (on y reviendra), s'inscrit sans conteste comme l'un de ses disques les plus intéressants.
Après cinq ans de black out total, où encore aujourd'hui certains n'en ont pas encore fini de fantasmer sur cette période noire, Miles Davis revenait sur le devant de la scène avec son album The Man with the Horn. Bon gré mal gré, le mythe vivant poursuivait son chemin entouré d'une jeune garde allant du guitariste Mike Stern, du saxophoniste soprano Bill Evans [1] en passant par le fidèle Al Foster à la batterie, le bassiste Marcus Miller et le claviériste Robert Irving III. Pour le pire et pour le meilleur, ces deux derniers eurent une importance notable sur la production et les compositions de Davis durant ladite décennie. Toujours aussi versatile, humant l'air du temps, la fracture avec la jeune garde symbolisée par les Young Lions Marsalis s'amplifie. A une époque où le jazz revient vers un classicisme hérité du hard bop des 50's, Miles Davis lorgne de plus en plus vers la pop et le funk synthétique.
Fin 1984, Miles Davis est accueilli au Danemark pour recevoir le prestigieux prix Léonie Sonning, prix habituellement attribué au musicien classique à l'instar d'Igor Stravinsky ou Olivier Messiaen [2]. Durant cette escale danoise, Miles enregistre un album au début de l'année 1985 au Easy Sound Studios de Copenhague sous la férule du trompettiste Palle Mikkelborg, album que ce dernier a spécialement composé pour Davis. En plus d'être entouré de nouveau par un Big Band depuis sa collaboration avec Gil Evans [3], cet album hommage intitulé Aura a la particularité d'être une suite constituée de neuf compositions qui sont censées représenter, plus ou moins, l'aura du trompettiste... à travers neuf couleurs. Mais Miles Davis n'est pas venu les mains vides puisqu'il est venu accompagné de deux musiciens qui lui sont proches : le fidèle John McLaughlin et son neveu Vince Wilburn [4]. Le Big Band se voit enfin enrichi de la présence du contrebassiste danois Niels-Henning Ørsted Pedersen, connu pour ses collaborations avec Stan Getz, Chet Baker ou Archie Shepp.
A raison, il ne parait pas si maladroit d'être dubitatif, voire carrément méfiant, quant au résultat d'une telle entreprise. Des albums hommages, qui virent au cliché ou au plat sans saveur, sans citer de nom, l'histoire en compte par centaines, quand bien même cette fois-ci il s'agit de compositions originales, et pas seulement de reprises. Et à défaut d'être une totale réussite, Aura n'en demeure pas moins l'un des meilleurs disques du Miles des 80's. Mikkelborg brode un album diversifié où de multiples influences croisent le chemin du trompettiste : la musique classique contemporaine [5], le jazz, le rock, le funk, la musique électronique voire même les musiques du monde.
Parmi les effets marquants, Aura débute par des thèmes froids, minimalistes (pour un danois, quoi de plus normal) avec un McLaughlin à la guitare méconnaissable pour celui qui garderait à l'esprit le Mahavishnu Orchestra, une guitare froide comme du metal, à croire que Howard Shore a écouté Aura avant de composer la bande originale de Crash. On n'est dès lors pas étonné de constater que parallèlement au titre donné aux compositions, les thèmes se veulent à mesure plus chaleureux, tout en gardant une assise extrêmement tendue (Red et sa suite Electric Red sont à ce titre des sommets du genre). Forcément, avec un compositeur danois qui écrit aussi pour cet album des thèmes contemplatifs, on pense irrémédiablement à ECM. Et même si on ne retrouve pas totalement le style du label munichois, le but de toute façon n'étant pas de se lancer dans une copie vulgaire, le style davisien ayant peu de points communs avec l'esthétique d'ECM, on ne peut qu'apprécier des plages telles que White ou Green. Mieux, sur Yellow ou Green par exemple, la présence du souffle de Miles est des plus discrètes, voire absente, au service de la musique. Tout de même, le jazzophile retrouvera quelques anciennes intonations avec Blue, étrange relecture du culte A Tribute to Jack Johnson [6], bande originale composée par Miles Davis en 1970, ou Indigo qui évoque un autre Big Band atypique des 80's, celui de Jaco Pastorius.
Enregistré en 1985, Aura fut publié seulement en 1989 par Columbia Records. Cet incident fut d'ailleurs l'une des raisons qui fit changer Miles Davis de label, pour signer chez Warner Records. Columbia refusait de publier Aura, tandis que de son propre aveu, Miles considérait cet album comme l'une de ses plus belles réussites... à juste titre [7].
Enregistrement d'Aura avec interview de Miles Davis (en quatre parties)
[1] A ne pas confondre donc avec son homonyme qui fut le pianiste de Miles durant les 50's mais aussi et surtout l'un des plus grands pianistes (de jazz) du XXème siècle.
[2] Autant dire que vu l'égo de Miles Davis, il ne s'est pas fait prié... étonnant dès lors que l'autre jazzman qui eut droit à un tel honneur soit aussi un musicien à la pastèque hypertrophiée : Keith Jarrett.
[3] Big Band atypique puisqu'on y compte une harpe, une basse électrique ou une batterie électronique.
[4] Miles Davis rendant ainsi pour l'occasion aussi hommage à ce dernier pour ce disque tribute, Vince Wilburn ayant fait parti des personnes qui ont aidé et poussé Davis à sortir de sa morne et sombre "retraite".
[5] Le concept des couleurs rappelle d'ailleurs Olivier Messiaen.
[6] I'm Jack Johnson, heavyweight champion of the world! I'm black! They never let me forget it. I'm black all right, I'll never let them forget it.
[7] Hormis l'Intro légèrement pénalisée par des synthés maladroits (repris sur Red) et un Orange indigeste... soit un titre et demi sur 10, me glisse mon agent comptable.
Après cinq ans de black out total, où encore aujourd'hui certains n'en ont pas encore fini de fantasmer sur cette période noire, Miles Davis revenait sur le devant de la scène avec son album The Man with the Horn. Bon gré mal gré, le mythe vivant poursuivait son chemin entouré d'une jeune garde allant du guitariste Mike Stern, du saxophoniste soprano Bill Evans [1] en passant par le fidèle Al Foster à la batterie, le bassiste Marcus Miller et le claviériste Robert Irving III. Pour le pire et pour le meilleur, ces deux derniers eurent une importance notable sur la production et les compositions de Davis durant ladite décennie. Toujours aussi versatile, humant l'air du temps, la fracture avec la jeune garde symbolisée par les Young Lions Marsalis s'amplifie. A une époque où le jazz revient vers un classicisme hérité du hard bop des 50's, Miles Davis lorgne de plus en plus vers la pop et le funk synthétique.
Fin 1984, Miles Davis est accueilli au Danemark pour recevoir le prestigieux prix Léonie Sonning, prix habituellement attribué au musicien classique à l'instar d'Igor Stravinsky ou Olivier Messiaen [2]. Durant cette escale danoise, Miles enregistre un album au début de l'année 1985 au Easy Sound Studios de Copenhague sous la férule du trompettiste Palle Mikkelborg, album que ce dernier a spécialement composé pour Davis. En plus d'être entouré de nouveau par un Big Band depuis sa collaboration avec Gil Evans [3], cet album hommage intitulé Aura a la particularité d'être une suite constituée de neuf compositions qui sont censées représenter, plus ou moins, l'aura du trompettiste... à travers neuf couleurs. Mais Miles Davis n'est pas venu les mains vides puisqu'il est venu accompagné de deux musiciens qui lui sont proches : le fidèle John McLaughlin et son neveu Vince Wilburn [4]. Le Big Band se voit enfin enrichi de la présence du contrebassiste danois Niels-Henning Ørsted Pedersen, connu pour ses collaborations avec Stan Getz, Chet Baker ou Archie Shepp.
A raison, il ne parait pas si maladroit d'être dubitatif, voire carrément méfiant, quant au résultat d'une telle entreprise. Des albums hommages, qui virent au cliché ou au plat sans saveur, sans citer de nom, l'histoire en compte par centaines, quand bien même cette fois-ci il s'agit de compositions originales, et pas seulement de reprises. Et à défaut d'être une totale réussite, Aura n'en demeure pas moins l'un des meilleurs disques du Miles des 80's. Mikkelborg brode un album diversifié où de multiples influences croisent le chemin du trompettiste : la musique classique contemporaine [5], le jazz, le rock, le funk, la musique électronique voire même les musiques du monde.
Parmi les effets marquants, Aura débute par des thèmes froids, minimalistes (pour un danois, quoi de plus normal) avec un McLaughlin à la guitare méconnaissable pour celui qui garderait à l'esprit le Mahavishnu Orchestra, une guitare froide comme du metal, à croire que Howard Shore a écouté Aura avant de composer la bande originale de Crash. On n'est dès lors pas étonné de constater que parallèlement au titre donné aux compositions, les thèmes se veulent à mesure plus chaleureux, tout en gardant une assise extrêmement tendue (Red et sa suite Electric Red sont à ce titre des sommets du genre). Forcément, avec un compositeur danois qui écrit aussi pour cet album des thèmes contemplatifs, on pense irrémédiablement à ECM. Et même si on ne retrouve pas totalement le style du label munichois, le but de toute façon n'étant pas de se lancer dans une copie vulgaire, le style davisien ayant peu de points communs avec l'esthétique d'ECM, on ne peut qu'apprécier des plages telles que White ou Green. Mieux, sur Yellow ou Green par exemple, la présence du souffle de Miles est des plus discrètes, voire absente, au service de la musique. Tout de même, le jazzophile retrouvera quelques anciennes intonations avec Blue, étrange relecture du culte A Tribute to Jack Johnson [6], bande originale composée par Miles Davis en 1970, ou Indigo qui évoque un autre Big Band atypique des 80's, celui de Jaco Pastorius.
Enregistré en 1985, Aura fut publié seulement en 1989 par Columbia Records. Cet incident fut d'ailleurs l'une des raisons qui fit changer Miles Davis de label, pour signer chez Warner Records. Columbia refusait de publier Aura, tandis que de son propre aveu, Miles considérait cet album comme l'une de ses plus belles réussites... à juste titre [7].
Enregistrement d'Aura avec interview de Miles Davis (en quatre parties)
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[1] A ne pas confondre donc avec son homonyme qui fut le pianiste de Miles durant les 50's mais aussi et surtout l'un des plus grands pianistes (de jazz) du XXème siècle.
[2] Autant dire que vu l'égo de Miles Davis, il ne s'est pas fait prié... étonnant dès lors que l'autre jazzman qui eut droit à un tel honneur soit aussi un musicien à la pastèque hypertrophiée : Keith Jarrett.
[3] Big Band atypique puisqu'on y compte une harpe, une basse électrique ou une batterie électronique.
[4] Miles Davis rendant ainsi pour l'occasion aussi hommage à ce dernier pour ce disque tribute, Vince Wilburn ayant fait parti des personnes qui ont aidé et poussé Davis à sortir de sa morne et sombre "retraite".
[5] Le concept des couleurs rappelle d'ailleurs Olivier Messiaen.
[6] I'm Jack Johnson, heavyweight champion of the world! I'm black! They never let me forget it. I'm black all right, I'll never let them forget it.
[7] Hormis l'Intro légèrement pénalisée par des synthés maladroits (repris sur Red) et un Orange indigeste... soit un titre et demi sur 10, me glisse mon agent comptable.
Quatre années pour publier "Aurora"... ! Ca doit vraiment être douloureux pour un artiste, et frustrant au possible !
RépondreSupprimernote que Columbia a eu la "décence" de publier "Aura" deux avant la mort de Miles... c'est toujours ça de pris
RépondreSupprimerCorruption : Le jazz ne s'achète pas... Enfin là dans ce cas, je ne sais plus.
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