Cinq années après son dernier film, 24 City, le réalisateur chinois Jia Zhang-ke revenait sur le devant de la scène, après plusieurs documentaires et courts métrages, en 2013. Un retour d'autant plus marquant et inattendu que le nouveau long métrage nommé A Touch of Sin, prix du scénario au festival de Cannes, s'avère l'essai le plus sombre du cinéaste. Loin du lyrisme de ses précédentes œuvres, et s'inspirant de récents faits divers extrêmement violents qui se sont déroulés en Chine, Zhang-ke signait un métrage critique et radical, dont on ne sait par quel miracle, celui-ci a réussi à passer à travers les filets de la censure.
Scindé en quatre histoires indépendantes situées dans quatre régions différentes, A Touch of Sin relate les mésaventures de personnages en marge de cette nouvelle société chinoise consumériste. A l'exception du deuxième chapitre qui met en scène la variation la plus cynique (et moins réussie), quand l'acte de résistance d'un travailleur migrant prend la forme d'une terreur armée et arbitraire, les trois autres épisodes narrent davantage le portrait d'humiliés aux prises avec une fatalité d'origine sociale dans cette Chine néo-capitaliste et individualiste.
De son prologue explosif introduisant le personnage de Zhou San, et sa violence en guise de réponse à la brutalité environnante (quand Sergio Leone rencontre Jean-Luc Godard sur une route de montagne), A Touch of Sin garde en guise de résonance, au cours des quatre histoires contées, les mêmes accès de brusques fureurs : inopinées et implacables. « Film à tableaux » (et non à sketchs), la première histoire du film présente la quête de justice de Dahai, mineur dans une province reculée cherchant à récupérer les dividendes de la privatisation de la mine du village. Humilié par des collègues, battu en public par les hommes de main de son patron, la vengeance de Dahai sera des plus sanglantes et expéditives. La troisième histoire est inspirée par un événement qui fut relayé à l'époque par les médias et les réseaux sociaux, celui d'une jeune femme frappée par un de ses clients avec une liasse de billets de banque. Enfin le dernier volet traite de l'impossibilité d'un jeune homme, Xiao Hui, à rembourser une dette en accumulant les emplois.
D'une rare noirceur, si le scénario manque de cohésion, du moins de transition entre chaque volet [3], le dernier métrage de Zhang-ke et ses différents tableaux traduisent parfaitement les maux dont souffre la Chine actuelle, et les recours désespérément violents des classes sociales oubliées. Au final, A Touch of Sin aurait sans doute gagné à se concentrer sur seulement une ou deux histoires (celle du mineur et de la jeune femme), mais l'essentiel est obtenu : un film cru, brutal, miroir d'une société filmée par un cinéaste en colère.
Tian Zhu Ding (A Touch of Sin) | 2013 | 129 min
Réalisation : Jia Zhangke
Scénario : Jia Zhangke
Avec : Jiang Wu, Luo Lanshan, Meng Li, Wang Baoqiang, Zhang Jia-yi, Zhao Tao
Musique : Lim Giong
Directeur de la photographie : Yu Likwai
Montage : Lin Xudong, Matthieu Laclau
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[1] Office Kitano est co-producteur du film.
[2] Depuis 2007, Zhang-ke prépare justement un film d'arts martiaux, qui fut mis en suspens pour la réalisation d'A Touch of Sin.
[3] Difficile de faire plus efficaces que celles du Fantôme de la liberté de Luis Buñuel.
Excellente critique. Je regrette d'être passé à côté de ce film lors de sa sortie en salle...
RépondreSupprimerMerci :-)
SupprimerDe même. Découvert un peu sur le tard ce film, comme souvent pour les métrages qui étaient en compétition à Cannes. Je commence en général à les voir un an après leur sortie Cannoise ou française ;-)