Dans le cadre du festival Jazz sur Seine, du 7 au 22 octobre prochain, le saxophoniste britannique John Surman était convié lors d'une carte blanche à jouer au Théâtre du Châtelet. Étaient invités à cette soirée plusieurs musiciens et collaborateurs de longue date dont le contrebassiste Chris Laurence, la chanteuse norvégienne Karin Krog, le quatuor à cordes Trans4mation String Quartet et Jack DeJohnette, ancien batteur de Miles Davis et compagnon de route pendant trente ans du trio du pianiste Keith Jarrett.
Pour les présentations d'usage, indiquons qu'en plus d'être une figure de proue du jazz européen via le label ECM durant près de quatre décennies, John Surman peut se targuer d'être un souffleur atypique, doublé d'un explorateur à la recherche de nouveaux horizons sonores. Pour cela il suffit d'écouter par exemple son utilisation personnelle des boucles de synthétiseurs ou du re-recording (overdubbing en anglais) [1] sur Westering Home (1972) et Road to Saint Ives (1990). Concert scindé en deux parties bien distinctes, chacun de ces volets avait la tâche de mettre en lumière une des nombreuses facettes protéiformes de cet improvisateur, passé maitre dans l'art de la clarinette basse et du saxophone soprano et baryton.
Débutant par deux solos en guise de mise en bouche, John Surman convia pour le premier set Chris Laurence (comparse de Surman depuis Morning Glory en 1973), ainsi que les
violonistes Rita Manning & Patrick Kiernan, l'alto Bill Hawkes
et le violoncelliste Nick Cooper, afin de nous faire revivre l'esprit de Coruscating (2000) et de sa séquelle, The Spaces in Between, enregistrée six ans plus tard. Au croisement du jazz contemporain et de la musique classique, le sextette offrit comme on pouvait l'attendre une prestation des plus contemplatives, propres à jouer avec l'imaginaire de l'auditeur, à l'image des compositions Shadows of Lisbon ou l'oriental Lelek Geldi, sans oublier l'hommage au saxophoniste baryton de l'orchestre de Duke Ellington, Harry Carney, sur le profond et mélodique Stone Flower issu de Coruscating. Le meilleur était à venir.
A l'instar du premier set qui s'était ouvert par deux solos du souffleur, le second débuta par la présence de la chanteuse Karin Krog, le temps d'un duo avec le maitre de cérémonie en mode question-réponse avec voix déformée électroniquement pour la dame scandinave, puis l'introduction de l'invité spécial, Jack DeJohnette, au piano, pour la relecture de deux standards, In a Sentimental Mood de Duke Ellington et Hi-fly de Randy Weston. Une fois le batteur placé derrière ses fûts, Krog quittant la scène, la paire Surman / DeJohnette prit possession des lieux, leur duo faisant ainsi revivre l'une de leurs précédents collaborations, Invisible Nature, disque live issu de leurs performances lors des Tampere Jazz Happening et JazzFest Berlin en novembre 1999. Musique par nature post-Coltranienne (remember Interstellar Space signé Trane et son batteur Rashied Ali [2]), les deux vieux complices rejouèrent trois compositions du live précité, Mysterium, Rising Tide et enfin un funky Underground Movement, fausse relecture du Full Nelson de Miles Davis, avec le constat évident que l'âge des protagonistes n'altéraient en rien leur énergie.
Le concert se conclut par l'entrée en scène de l'ensemble des musiciens en interprétant une chanson provenant du folklore norvégien, avant un rappel participatif (le public fut invité à tenir une note bourdon) sous la forme d'une reprise d'un titre provenant cette fois-ci du folklore irlandais. A défaut d'un second rappel (Surman indiquant à l'audience que le souffle lui manquait), le jazzman remercia de nouveau avec humilité un public conquis.
Une belle soirée.
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[1] Le premier jazzman a avoir usé de cette technique de studio fut Sidney Bechet en 1941 pour le standard The Sheik of Araby.
[2] Le dernier album de Jack DeJohnette sorti cette année en 2016, In Movement, avec Ravi Coltrane, fils de, rend justement hommage à l'ancien batteur de Trane sur le titre éponyme Rashied.
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