Avant-dernier chapitre inattendu d'une filmographie atypique, avant un téléfilm
étasunien Brooklyn Cop (1998) et un WIP longtemps reporté, et à jamais inachevé, dénommé Death Camp [1], Le syndrome d'Edgar Poe de N. G. Mount, alias Norbert Moutier, s'échappe quelque peu des précédentes productions de son auteur. Marquant la fin d'une époque d'intense activité, par la série de quatre longs métrages réalisés
en moins de cinq ans jusqu'au mitan des années 90, ce syndrome peut, non sans raison, être considéré par les thèmes évoqués comme son film le plus singulier. Produit dans la foulée de Dinosaur from the Deep avec Jean Rollin, le métrage quitte la science-fiction ultra fauché pour verser dans l'hommage Sadien. Rien que ça. Mais n'allons pas trop vite.
En proie à de récurrents cauchemars et souffrant d'une santé mentale fragile, Roderick (Christophe Bier) croit être l'incarnation du grand écrivain Edgar Allan Poe. En pension chez sa tante (Sylvaine Charlet) depuis sa sortie de la clinique psychiatrique, le jeune homme est incapable d'écrire le moindre mot. Or la comtesse compte sur le futur roman de son neveu pour financer les réparations de son manoir, qui tombe inexorablement en ruine. Aidée par le trouble docteur Kemp (Gérard Stum), celle-ci invite le temps d'un séjour le professeur Waldemar (Robert André) accompagné de son épouse Morella (Brigitte Borghese), une dominatrice férue de sadomasochisme qui a pour mission de rallumer la flamme morbide de Roderick. Témoin de ces pratiques qui débouchent sur la torture et le meurtre de victimes ayant eu le tort d'accepter l'hospitalité de la propriétaire des lieux, Roderick retrouve finalement l'inspiration, tandis qu'un étrange individu
vêtu de noir semble hanter les couloirs du château...
Dernier volet d'une tétralogie débutée en 1992 avec Alien Platoon, Le syndrome d'Edgar Poe a de quoi surprendre l'habitué des productions signées par la N. M International (ça ne s'invente pas). Osons même l'écrire, celui-ci est sans doute, sinon le film le plus personnel, du moins le plus ambitieux de Norbert Moutier. Croisement de multiples influences conjuguant l'esprit Sadien (par exemple Les Chasses du comte Zaroff) et l'œuvre de Poe par extension (le personnage principal porte le même prénom que celui de la célèbre nouvelle La Chute de la maison Usher), Le syndrome étonne également par ses partis pris formels. De l'utilisation (maladroite) de filtres et autres instruments de torture datant du moyen-âge « qui ne demande qu'à resservir » évoquant les films gothiques d'un Mario Bava par exemple, le créateur du fanzine Monster bis y expose un goût du macabre jusque-là inédit... quitte à nous faire oublier l'amateurisme de la production et les incohérences d'une histoire foutraque. Pas sûr...
Filmé au Darkwood Castel (chez Sylvaine Charlet durant deux ou trois weekends, dixit Christophe Bier), Le syndrome d'Edgar Poe n'échappe pas aux habituels griefs des métrages mis en scène par Norbert Moutier. En sus d'une prise de son atroce lors du premier tiers [2], et d'une image aux qualités baveuses (tourné en vidéo, ce qui n'arrange rien), le film offre un panel croquignolet de personnages haut en couleur. Victimes de la cupidité de la comtesse et des élans sadicomeurtriers de la maitresse femme Morella, cette dernière n'hésitant pas à brûler la jambe de bois de son mari pour alimenter l'inspiration de notre écrivain raté : un serrurier (Christophe Lemaire) qui rentre dans une vierge de Nuremberg pour prouver sa fonctionnalité, l'envoyé de l'éditeur à la recherche d'une barrique de vin, le fiancé de Rowena (Quelou Parente), sœur de Roderick, qui accepte de boire une coupe offerte par ce dernier, alors que tout porte à croire que celui-ci a laissé mourir sa sœur enfermée dans un cercueil, etc., rien ne nous est épargné et plus encore, à l'instar du duel « épique » et viril entre ledit fiancé et le mystérieux homme en noir, le quota plan-nichon avec une demoiselle seins nus goûtant aux plaisirs simples du marquage au fer, et la scène nécrophile des familles entre Rowena et les restes d'un de ses aïeuls.
Entouré pour des fidèles Sylvaine Charlet (qui signe, également, ici la musique) et Quelou Parente, de Christian Letargat, auteur du fanzine MovieGame, de sa muse ou apparenté Brigitte Borghese [3] et de l'incontournable Christophe Lemaire, Norbert Moutier peut également compter de nouveau (remember Howard Vernon dans Ogroff) sur la présence d'un invité prestigieux du bis, l'acteur et réalisateur Michel Lemoine, dans le rôle du professeur Goudron (?!) de la clinique psychiatrique. Quant à Christophe Bier, assistant de Jean-Pierre Mocky à l'époque, qui interprétait brièvement un avocat dans Dinosaur, sa prestation contraste avec celles de ses camarades de jeu, la forte théâtralité des situations et les dialogues ampoulés, qui vont de pair, étant finalement à double tranchant pour les protagonistes de ce conte macabre et fauché.
Une œuvre rare, une série Z quasi introuvable, à découvrir pour les amateurs éclairés de notre N. G. Mount national.
Verdict du Nanarotron :
PS : Un grand remerciement amical à Christophe Bier pour ses souvenirs de tournage.
Le syndrome d'Edgar Poe | 1995 | 97 min
Réalisation : Norbert Moutier (N. G. Mount)
Scénario : N. G. Mount
Avec : Christophe Bier, Sylvaine Charlet, Brigitte Borghese, Gérard Stum, Quelou Parente, Jean-Marie Burucoa, Michel Lemoine, Robert André, Christophe Lemaire
Musique : Sylvaine Charlet
Directeur de la photographie : K. Daverick
Montage : N. G. Mount
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[1] Connu également sous le titre de Britta The Torturer, avec Brigitte Borghese dans le rôle de la chef matonne à très forte personnalité, et inspirée par celui de Dyanne Thorne de la série Ilsa, le projet comptait également dans ses rangs Sylvaine Charlet, Gérard Stum, Claude Valmont et Christophe Bier dans rôle du médecin taré, avec main articulée et adepte d'expériences génétiques sur des embryons. "Le tournage débuta dans un établissement privée catholique en banlieue, avec l'apport technique du surveillant qui s'occupait aussi de la vidéo de l'école". Mais le tournage fut arrêté rapidement "quand le directeur, qui n'était pas au courant, a aperçu Borghese, toute vêtue de cuir, une cravache en main, qui se détendait dans la cours en fumant une cigarette" nous confia Christophe Bier !
[2] L'absence de perche fit que tout fut enregistré directement par le micro intégré de la caméra : "Le son est souvent le laisser pour compte des productions fauchées de l'époque" nous confia Christophe Bier. Il faut croire que dans le premier tiers, les comédiens ne parlaient pas suffisamment FORT !
[3]
Cette autre grande fidèle de sieur Moutier a débuté dans sa « super production » Operation Las vegas avec Richard
Harrison (excusez du peu), avant de jouer dans ses deux dernières créations, le téléfilm et le WIP précité.
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