Comme le faisait remarquer judicieusement un médecin de garde helvétique de la blogosphère, je cite: "le hip hop est issu du blues et de la soul, et pourtant rares auront été les tentatives de mêler ces genres musicaux". Et un constat sinon amer, en tout cas regrettable, qui s'applique finalement pour d'autres courants musicaux. "S'éloigner de ses racines, c'est un peu comme tuer son père" me confiait un verre de Muscadet à la main et le coude vissé au comptoir, un des nombreux piliers de bar que compte la même blogosphère d'obédience éthylo-rock'n'rollesque. "En musique, c'est presque vital de toute façon, [...], et encore, j'te cause pas des paternels qui te foutent la honte, mais seulement des jeunes qui veulent se démarquer de leurs glorieux ancêtres" lança t-il d'un geste de la main majestueux en guise de conclusion. Sur l'avant-dernier point, notre musicophile, certes bourru mais néanmoins généreux [1], avait loin d'avoir tort. C'est sans doute même l'un des points essentiels concernant l'un des sous-genres du rock de la première moitié des 70's à savoir le rock progressif. Si on doit au moins remercier ces monuments de finesse que sont Emerson, Lake & Palmer ou Yes, c'est bien d'avoir, non pas engendrés des générations de mélomanes eugénistes jouant les victimes au gré des sarcasmes de la plèbe rock, mais celui, d'avoir été l'une des causes de la réaction do it yourself par la génération punk et tous ses turbulents avatars. Bref, mettons de côté ces digressions futiles, et revenons à la première citation. A la question existe t-il des tentatives afin de faire marier cette fois-ci deux styles opposés, sans filiation aucune, à savoir le le blues et l'électro, subHuman de Recoil se pose en parfait exemple.
Alan Wilder. Hormis les fans transis de Depeche Mode et en particulier ceux de Songs of Faith and Devotion, on peut sans mentir nommer ce musicien comme un homme de l'ombre, situé juste derrière un frontman [2] et un songwriter [3] d'exception... et à côté d'un rouquin binoclard dont on retiendra avant tout ses talents comptables. L'homme qui nous intéresse goûtant donc très peu aux joies du marketing, les délaissant dès lors à son voisin de claviers, Wilder n'est pas non plus célèbre, contrairement à son chanteur, pour s'être précipité sous les feux des projecteurs pour se plaindre de la main mise que pouvait avoir son camarade [4] Martin Gore sur le songwriting du groupe. Dès lors reconnu par ses pairs comme le seul véritable musicien de la bande, l'arrangeur et architecte sonore de Depeche Mode débuta dès 1986 [5] son side-project nommé Recoil, pour mieux expérimenter au seul gré de sa volonté ses diverses aspirations musicales [6].
2007, sept ans après le précédent album de Recoil sort enfin subHuman. Après avoir invité pléthore d'invités prestigieux sur son précédent essai, Wilder restreint les apports extérieurs en se recentrant presque exclusivement sur une musique qui l'accompagne depuis de nombreuses années, le blues, contrairement à ce que pourrait laisser penser la pochette du nouvel opus. A la différence de sa chanson novatrice de 1992, Electro Blues for Bukka White sur l'album Bloodline ou son premier essai electro-blues, Wilder convie cette fois-ci un bluesman de chair et de sang en la personne de Joe Richardson. La rencontre entre ce natif de la Nouvelle Orléans post-Katrina et la musique de Recoil qui s'apparente au fil du temps à un trip-hop expérimental avait de quoi sinon émoustiller les plus rétifs, en tout cas éveiller les plus curieux.
Comme souvent chez Recoil, ce nouvel album souligne, une fois de plus tout le bien qu'on peut penser du talent d'Alan Wilder, mais aussi les mêmes défauts revenant sous forme de leitmotiv au cours de ses productions passées. subHuman s'ouvre par un Prey dantesque sous la forme même d'une évidence, la science ténébreuse et électronique de Wilder s'accordant parfaitement avec le blues crasseux de Richardson pour une bande originale imaginaire d'un film de David Lynch [7]. Contraste d'autant plus saisissant avec ce nouvel habillage dream pop au pays des sons lugubres à l'écoute d'Allelujah chanté par Carla Trevaskis, morceau qui vaut tout de même plus par ses ambiances bigarrées et son sample de Rubycon de Tangerine Dream que par l'imitation de Kate Bush par la demoiselle Trevaskis. Le troisième titre, 5000 Years, confirme l'impression qui se dessinait durant les écoutes successives, l'une des meilleures chansons de l'album est aussi la plus courte (6'37" tout de même), les diverses errances et collages sonores de Wilder n'entamant pas la réceptivité de l'auditeur. Malheureusement, en bon architecte du son, Wilder a pêché par générosité, multipliant jusqu'à plus soif les pistes, au profit des ambiances mais au détriment d'une efficacité certaine, comme tendent à prouver The Killing Ground ou Intruders, ces derniers amputés d'au moins 5 minutes n'en aurait été que plus savoureux. Quant à l'anecdotique Backslider qui clôt l'album, celui-ci atteste indirectement l'excellente première partie de subHuman avant de glisser dans le dispersé.
Quoique pourrait transparaître les réserves précédentes, subHuman reste néanmoins un bon album à la fois sombre, rugueux et moderne... mais soulignant par ses longueurs, les carences de concision de son auteur. Un album prouvant une fois de plus l'apport de la musique roots noire américaine sur un genre qui sur le papier semblait pourtant diamétralement opposé [8].
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[1] Entendre qu'il a payé plus d'une tournée à son public réceptif.
[2] En mettant de côté le garçon coiffeur qui se dandinait avec son micro durant ces jeunes années, il faut un minimum de présence scénique lorsqu'on est juste accompagné par trois endives stoïques dissimulées derrière des synthétiseurs.
[3] Quelqu'un qui a composé Shake the Disease peut-il être totalement mauvais ? En attendant d'être perdu pour la cause...
[4] Jeu de mots caché que seul les fans pourrons comprendre sans doute...
[5] Soit 4 ans après son incorporation dans le groupe suite au départ de Vince Clarke.
[6] A noter que ce side-project lui permit aussi d'expérimenter, de tester nombre d'arrangements en prévision des prochains albums de Depeche Mode. Pour cela, il suffit par exemple d'écouter Bloodline (1992) de Recoil puis Songs of Faith and Devotion (1993) de DM.
[7] On croit même reconnaître d'ailleurs un sample issu de la bande originale de Mulholland Drive.
[8] Mais qui n'étonnera pas du tout les admirateurs de Depeche Mode par exemple, l'influence du Gospel s'étant fait ressentir plus d'une fois sur l'écriture de Martin Gore.
Jamais écouté Recoil... Tu crois que ça vaut le coup que j'essaye, même si je suis très peu porté sur Depeche Mode ?
RépondreSupprimerCela dit, d'après le peu que je connais de DM, il me semble que Wilder en est un élément essentiel (contrairement à l'autre, dont j'ai oublié le nom, et dont personne ne sait trop ce qu'il fout là :o))
En ce qui concerne le mariage du blues et de l'electro, c'est quand même Tricky qui s'en est le mieux sorti, je pense en particulier à "Angels with dirty faces" (et ce duo avec PJ Harvey, "Broken homes", une chanson belle à faire pleurer toutes les belles-mères du monde^^)
(les beaux-frères aussi, d'ailleurs)
(et je vous parle même pas des petits-neveux)
@ Dahu: écoute quand même au moins le premier titre pour te faire une idée, le reste t'as le droit de zapper. En tout cas, les deux univers Recoil et Depeche Mode sont suffisamment distincts pour les rendre totalement différents: Recoil étant avant tout un projet expérimental et pas du tout pop. Et même si Recoil est le fruit de l'imagination d'un ancien de DM, Gore étant le seul véritable compositeur de DM, l'écriture de Wilder se rapproche plus d'un Eno si on devait choisir une image.
RépondreSupprimerConcernant Tricky, la différence c'est que le nabot s'inspire certes en partie du blues pour en ressortir une musique originale (ce qui est tout à son honneur), alors que cette fois-ci, on reste très ancré dans le blues tant par l'esprit que par l'instrumentation (ça fait qqtps que j'ai pas réécouté l'excellent joyau noir qu'est Angels with dirty faces mais j'ai pas souvenir de slide guitare ou d'harmonica par exemple)
le blues industriel mâtiné de loops et autres samples d'hugo race est intéressant aussi
RépondreSupprimer@ Diane: Je note ;-)
RépondreSupprimerc'est un ex Birthday Party / Bad Seeds...
RépondreSupprimerPas ultra fan de DEPECHE MODE... je sais pas non plus si je devrais tester...
RépondreSupprimerSysT le médecin de garde helvétique
Bon alors pour le médecin qui préfère regarder sous les blouses des demoiselles (oui j'aime les clichés)
RépondreSupprimerRecoil ne ressemble en aucun cas à Depeche Mode! Rrogntudjû!
Bon, je l'ai écouté, et en effet c'est pas mal. C'est clair que les 3 premiers titres surclassent le reste (ma préférence va à "Allelujah", vu que je n'ai pas les mêmes blocages que toi au sujet de Kate Bush^^) (et il faut dire que la voix de la demoiselle est utilisée comme une texture parmi d'autres).
RépondreSupprimerLe reste est assez frustrant, "Intruders" en particulier (j'aime beaucoup la tournure jazzy, éclatée que prend le morceau dans ses 4 dernières minutes), mais disperser toutes ses bonnes idées, comme ça, sur 12 minutes, hum... C'est bien dommage.
De toute façon, c'est la plaie majeure et récurrente de la musique électronique : la dilution des compos... Tout ça donne malgré tout envie de se pencher sur les autres albums de Recoil.
Quant à Tricky, je suis bien d'accord avec toi, c'est une réinterprétattion très personnelle de "l'idiome" blues (wow l'aut', y cause comme un journaleux^^). "Angels..." est tout de même empli des textures et lignes de guitares fantômatiques, brumeuses, avec de la poussière qui s'accroche dessus, troussées par Marc Ribot entre autres (mais c'est moins explicite, moins évident que chez Wilder).
@Dahu: de toute façon en bon connard de puriste (ça sonne mieux que snob ^^), Angels with dirty faces reste mon album de Tricky préféré :-D
RépondreSupprimerDe toute façon, je ne trouve guère de reproches à faire à ses 4 premiers disques solo (j'inclue bien sûr "Nearly god" dans le lot), alors que les suivants... :-(
RépondreSupprimerpas mieux XD
RépondreSupprimerPersonnellement, je reste une inconditionnelle de Liquid, le meilleur album du père Wilder, je trouve. Un album qui comporte les bombes "Jezebel" et "Strange Hours" (on est fan de la Galás ou on ne l'est pas...) ainsi que du spoken word glauque sur fond d'electro bien noire ne peut que mériter une place de choix dans ma discothèque ;)
RépondreSupprimer@ miss catherine: Oui c'est vrai que Liquid revient souvent comme le meilleur album de Recoil ;-)
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