Écrire la critique d'un de ses albums préférés est en général un exercice des plus périlleux, comprendre autant un art délicat qu'une acrobatie hasardeuse. Pour clore cette session finale du David Bowie Blog Tour 2009, le hasard aura encore joué un très joli tour au préposé, après le classique de 1977 Low, il eut droit de sortir du chapeau SON disque de David Bowie : Station to Station.
Comme l'a remontré ce judicieux Blog Tour, aussi bien pour les stagiaires en rock'n'roll attitude que pour les mécréants ne retenant comme passage à vide que l'après Scary Monsters, sa seigneurie David Jones a connu également un ventre mou au mitan des années 70. Dès 1973, après un album de reprises que l'on nommera poliment de dispensable et un dernier coup de collier glam rock synonyme de coup dans l'eau (tiède), Bowie traverse l'Atlantique pour débuter "sa période américaine" et enfin en terminer définitivement avec le style musical qui l'a porté aux nues. L'artiste protéiforme signe dès lors un nouveau virage et fait rare dans la musique, ce tournant ne coïncide pas avec la sortie d'un nouveau disque, fruit de nouvelles expériences studio, mais lors de la tournée promotionnelle à son nouvel album intitulé Diamond Dogs.
Rappel des faits. Après avoir remercié son célèbre backing band l'année précédente [1], 1974 voit un Bowie fatigué se démener à tenter de faire vivre un dernier instant la dépouille de sa bien encombrante et vieille incarnation glam, Halloween Jack, en attendant une prochaine mue sur les routes américaines durant l'été de la même année. Tandis que sa cloison nasale joue difficilement le rôle de garde-barrière au vu de sa consommation de poudre blanche, Bowie inhale à plein poumon l'âme de la musique noire américaine, pour mieux la recracher de manière très inégale (ou tout simplement aseptisée) à l'écoute de l'enregistrement public David Live ou l'album Young Americans.
Avouer qu'on attendait enfin le retour d'un David Bowie ambitieux, voire en pleine possession de ses moyens pour les plus optimistes, à défaut d'être remplumé, sa silhouette s'apparentant à un zombie blafard émacié, frôlait l'hypothétiquement improbable. Quant aux rumeurs évoquant ses crises de paranoïa psychotique, perdu au fin fond de son Xanadu Los Angelesien, elles n'envisageaient évidemment rien de bon. Après l'été 1975 passé à jouer dans le long-métrage The Man Who Fell to Earth [2] sous la direction de Nicolas Roeg, Bowie, plus extra-terrestre et cocaïnomane que jamais, rentre en studio en octobre et novembre pour clore sa période américaine. Avec le recul et non sans une certaine malice, les admirateurs de l'époque pourront même prétendre avoir assisté ni plus, ni moins, à l'une des résurrections miraculeuses qui créées les mythes pop : le retour du Thin White Duke.
En résumé, Bowie, le nez dans la poudreuse, avait beau se cacher derrière une prestation vocale convaincante, le cruel manque d'âme de son dernier album soulignait une fois de plus les défauts rédhibitoires qui collent trop souvent à la soul blanche, une musique empreinte de facilité destinée aux soirées cocktail. Or son génie fut d'avoir retourné à son avantage ces anciens griefs pour créer sa nouvelle créature, le Thin White Duke, soit un personnage agonisant, dépourvu d'émotion offrant à Station to Station une atmosphère unique pour l'époque, le disque d'un crooner fragile, détaché, clinique.
On a, à tort, l'habitude de minorer trop souvent l'impact, et l'importance, que peuvent avoir des albums dit de transition, le reproche le plus souvent entendu étant celui d'être bancal voire timide. Paradoxalement (ou non), l'une des forces premières de cet album, est justement d'aller outre ces remarques superficiels. Station to Station, en faisant le lien entre le présent soul/funk et le futur berlinois, permet à Bowie de signer son album US le plus européen, mais aussi et surtout le plus réussi et imaginatif depuis déjà trois ans, soit une éternité dans les 70's. Un album qui n'est pas non plus pourvu d'autres étonnantes particularités, Station to Station étant sans doute l'un des albums les plus abscons de son auteur, où l'ésotérisme et l'absurde croisent la religion. Mais ce qu'on retient en premier sur ce disque de 1976 c'est l'extraordinaire qualité de l'ensemble, six titres seulement, mais six merveilles dont le fameux titre éponyme, morceau fleuve de dix minutes scindé en deux parties antagonistes. Autant la première se veut lancinante, hypnotique [3], révérence à la présentation du triste maigre duc blanc, autant la seconde se veut dansante mais non dénuée d'ironie (tout comme le reste de l'album au passage).
Le nostalgique Golden Years, que la légende veut avoir été écrite à l'origine pour le King Elvis, va à l'encontre du fade Young Americans. Le désormais Thin White Duke a retrouvé la grâce et le groove, cette substantifique moelle qui lui faisait tant défaut ces derniers temps, et une efficacité retrouvée qui sied parfaitement au funk glaciale Stay où le jeune Carlos Alomar fait des merveilles [4]. Mieux, annonçant de quelques mois la période berlinoise et les futures expérimentations européennes, le surréaliste et gentiment foutraque [5] TVC15 voit déjà apparaitre la technique du cut up chère à Burroughs. Enfin, en guise de conclusion, contredisant lui-même le personnage hautain et cynique qu'il avait créé, Bowie fait clore l'album par le mystique Word on the Wing et la bouleversante reprise d'un standard de Nina Simone, Wild is the Wind.
Station to Station.
[1] Si Bowie a bien viré sa cuti glam rock, ce n'est aucun cas après la dissolution de ses Spiders from Mars (Mick Ronson, Trevor Bolder et Woody Woodmansey), mais bien après la sortie du mitigé Diamond Dogs.
[2] La pochette de Station to Station provient tout comme le prochain album Low du film de Nicolas Roeg.
[3] Cette partie faisant échos aux allemands de Kraftwerk, ces derniers rendant hommage à Bowie et à "son voyage en train" sur leur album suivant, Trans-Europe Express: "From Station to Station, Back to Dusseldorf City, Meet Iggy Pop and David Bowie, ..."
[4] Le guitariste qui débuta sur Young Americans reste le plus vieux compagnon de route de Bowie, ayant enregistré avec lui plus d'une dizaine d'albums studio, des meilleurs comme Station to Station ou Low au pire... Tonight ou Never Let Me Down.
[5] Quoi de plus normal en sachant que l'origine de la chanson est une anecdote de junkie: Iggy Pop cramé dans la résidence de Bowie avait cru voir sa copine avalée par sa télévision... un Videodrome avant l'heure.
Comme l'a remontré ce judicieux Blog Tour, aussi bien pour les stagiaires en rock'n'roll attitude que pour les mécréants ne retenant comme passage à vide que l'après Scary Monsters, sa seigneurie David Jones a connu également un ventre mou au mitan des années 70. Dès 1973, après un album de reprises que l'on nommera poliment de dispensable et un dernier coup de collier glam rock synonyme de coup dans l'eau (tiède), Bowie traverse l'Atlantique pour débuter "sa période américaine" et enfin en terminer définitivement avec le style musical qui l'a porté aux nues. L'artiste protéiforme signe dès lors un nouveau virage et fait rare dans la musique, ce tournant ne coïncide pas avec la sortie d'un nouveau disque, fruit de nouvelles expériences studio, mais lors de la tournée promotionnelle à son nouvel album intitulé Diamond Dogs.
Rappel des faits. Après avoir remercié son célèbre backing band l'année précédente [1], 1974 voit un Bowie fatigué se démener à tenter de faire vivre un dernier instant la dépouille de sa bien encombrante et vieille incarnation glam, Halloween Jack, en attendant une prochaine mue sur les routes américaines durant l'été de la même année. Tandis que sa cloison nasale joue difficilement le rôle de garde-barrière au vu de sa consommation de poudre blanche, Bowie inhale à plein poumon l'âme de la musique noire américaine, pour mieux la recracher de manière très inégale (ou tout simplement aseptisée) à l'écoute de l'enregistrement public David Live ou l'album Young Americans.
Avouer qu'on attendait enfin le retour d'un David Bowie ambitieux, voire en pleine possession de ses moyens pour les plus optimistes, à défaut d'être remplumé, sa silhouette s'apparentant à un zombie blafard émacié, frôlait l'hypothétiquement improbable. Quant aux rumeurs évoquant ses crises de paranoïa psychotique, perdu au fin fond de son Xanadu Los Angelesien, elles n'envisageaient évidemment rien de bon. Après l'été 1975 passé à jouer dans le long-métrage The Man Who Fell to Earth [2] sous la direction de Nicolas Roeg, Bowie, plus extra-terrestre et cocaïnomane que jamais, rentre en studio en octobre et novembre pour clore sa période américaine. Avec le recul et non sans une certaine malice, les admirateurs de l'époque pourront même prétendre avoir assisté ni plus, ni moins, à l'une des résurrections miraculeuses qui créées les mythes pop : le retour du Thin White Duke.
En résumé, Bowie, le nez dans la poudreuse, avait beau se cacher derrière une prestation vocale convaincante, le cruel manque d'âme de son dernier album soulignait une fois de plus les défauts rédhibitoires qui collent trop souvent à la soul blanche, une musique empreinte de facilité destinée aux soirées cocktail. Or son génie fut d'avoir retourné à son avantage ces anciens griefs pour créer sa nouvelle créature, le Thin White Duke, soit un personnage agonisant, dépourvu d'émotion offrant à Station to Station une atmosphère unique pour l'époque, le disque d'un crooner fragile, détaché, clinique.
On a, à tort, l'habitude de minorer trop souvent l'impact, et l'importance, que peuvent avoir des albums dit de transition, le reproche le plus souvent entendu étant celui d'être bancal voire timide. Paradoxalement (ou non), l'une des forces premières de cet album, est justement d'aller outre ces remarques superficiels. Station to Station, en faisant le lien entre le présent soul/funk et le futur berlinois, permet à Bowie de signer son album US le plus européen, mais aussi et surtout le plus réussi et imaginatif depuis déjà trois ans, soit une éternité dans les 70's. Un album qui n'est pas non plus pourvu d'autres étonnantes particularités, Station to Station étant sans doute l'un des albums les plus abscons de son auteur, où l'ésotérisme et l'absurde croisent la religion. Mais ce qu'on retient en premier sur ce disque de 1976 c'est l'extraordinaire qualité de l'ensemble, six titres seulement, mais six merveilles dont le fameux titre éponyme, morceau fleuve de dix minutes scindé en deux parties antagonistes. Autant la première se veut lancinante, hypnotique [3], révérence à la présentation du triste maigre duc blanc, autant la seconde se veut dansante mais non dénuée d'ironie (tout comme le reste de l'album au passage).
Le nostalgique Golden Years, que la légende veut avoir été écrite à l'origine pour le King Elvis, va à l'encontre du fade Young Americans. Le désormais Thin White Duke a retrouvé la grâce et le groove, cette substantifique moelle qui lui faisait tant défaut ces derniers temps, et une efficacité retrouvée qui sied parfaitement au funk glaciale Stay où le jeune Carlos Alomar fait des merveilles [4]. Mieux, annonçant de quelques mois la période berlinoise et les futures expérimentations européennes, le surréaliste et gentiment foutraque [5] TVC15 voit déjà apparaitre la technique du cut up chère à Burroughs. Enfin, en guise de conclusion, contredisant lui-même le personnage hautain et cynique qu'il avait créé, Bowie fait clore l'album par le mystique Word on the Wing et la bouleversante reprise d'un standard de Nina Simone, Wild is the Wind.
Station to Station.
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[1] Si Bowie a bien viré sa cuti glam rock, ce n'est aucun cas après la dissolution de ses Spiders from Mars (Mick Ronson, Trevor Bolder et Woody Woodmansey), mais bien après la sortie du mitigé Diamond Dogs.
[2] La pochette de Station to Station provient tout comme le prochain album Low du film de Nicolas Roeg.
[3] Cette partie faisant échos aux allemands de Kraftwerk, ces derniers rendant hommage à Bowie et à "son voyage en train" sur leur album suivant, Trans-Europe Express: "From Station to Station, Back to Dusseldorf City, Meet Iggy Pop and David Bowie, ..."
[4] Le guitariste qui débuta sur Young Americans reste le plus vieux compagnon de route de Bowie, ayant enregistré avec lui plus d'une dizaine d'albums studio, des meilleurs comme Station to Station ou Low au pire... Tonight ou Never Let Me Down.
[5] Quoi de plus normal en sachant que l'origine de la chanson est une anecdote de junkie: Iggy Pop cramé dans la résidence de Bowie avait cru voir sa copine avalée par sa télévision... un Videodrome avant l'heure.
on en apprend tous les jours...
RépondreSupprimerla production de Bowie de Station to Station à Scary Monsters (avec Outside) restant pour moi ce qu'il a fait de mieux. Je rectifie les conneries que j'ai écrites donc, sous coke Bowie arrive à produire qqch de valable dans les 70's, mais dans les 80's il a pris quoi alors mon Doc, du valtran ?
Oui c'est une bonne question, qu'est-ce qu'il a pris durant les 80's :-P
RépondreSupprimerAmusant, on dit la meme chose dans notre description de l'album... l'intéret de ton article étant aussi les paragraphes d'introduction qui replacent cet album dans un contexte que j'ignorais. Effectivement, je n'avais pas réalisé que Station to Station était le dernier album glam de Bowie... et je réalise que maintenant que cet album est un de ses meilleurs... il n'est jamais trop tard pour faire des découvertes...
RépondreSupprimerle dernier album glam, c'est Aladdin Sane bien sur... bon sang, tout commence à se mélanger dans ma tete !! ;)
RépondreSupprimerAlors il est gentil le Xavier, je n'ai jamais écrit que Station to Station était le dernier album glam de Bowie, le dernier étant Diamond Dogs ;-)
RépondreSupprimerOui le contexte historique, c'est important, il faut toujours replacer une œuvre dans son contexte :-P
Je suis tout à fait d'accord avec ton intro. Mais ma foi tu t'en sors pas mal du tout !
RépondreSupprimer@ Thom: merci beaucoup, c'est pourquoi après la joie d'avoir tiré au sort Station, je l'ai finalement reçu comme un cadeau empoisonné, fallait maintenant relevé le défi :-D
RépondreSupprimerAlors ce fut dur, ma chronique la plus longue à écrire, je crois bien, d'où le fait d'avoir tant insisté sur les détails "historiques", une voie comme une autre pour souligner la maestria de cet album. (j'aurais pu aussi écrire que par exemple, le début de la seconde partie de la chanson éponyme me bouleverse toujours autant alors que paradoxalement elle parait "enjoué" pour la plupart des personnes, mais on a sa pudeur :-P)
Diamond Dogs?? ah il n'est pas encore passé à la moulinette du DBBT09!
RépondreSupprimerc'est vrai que tu fais fort, chroniquer aussi bien ton album préféré de Bowie que n'importe quel nanar inconnu...
@ Xavier: oui et pour Diamond Dogs c'est mademoiselle Catherine qui doit s'en occuper... sachant qu'elle m'avait rappelé à l'ordre... je crois qu'elle n'a plus qu'a faire de même ^^
RépondreSupprimerSuperbe album. De l'envoûtant morceau-titre à l'émouvante reprise de Wild Is The Wind, en passant par la pop de TVC 15 et l'électricité de Stay, tout ici brille et scintille.
RépondreSupprimerUne oeuvre fascinante, tout simplement...
@ Grisé: Nous sommes bien d'accord ;-) On est bien loin de la purge eighties, n'est-ce pas! XD
RépondreSupprimerMerci Docteur! C'est la chronique que j'attendais pour me mettre à l'ouvrage :D
RépondreSupprimerComme je suis en congés dès ce soir, je vais pouvoir travailler, ha ha!
(si c'est pas triste d'écrire des trucs pareils...)
Enfin soit: beau travail Doc!
Merci ! C'est sans doute, l'une des meilleures chroniques que j'ai lu sur ce cultisme album.
RépondreSupprimer@ Jeremy: Grazie mille ;-)
RépondreSupprimerce n'est pas la longeur qui compte c'est bien connu, n'empêche... 5 chansons originales et une reprise (bon d'accord: quelle reprise!...) ça fait un peu courtqd même; j'avoue que c'est le truc qui m'a freiné par rapport à cet album. Mais bon,vu comme tu le défends, faudra que je m'y penche vraiment sur ce Station ;)
RépondreSupprimerps : euh, bonne année dis-donc !
@ Alf: Certes seulement 6 chansons, mais au niveau durée comptable Station to Station pointe les 38 minutes, soit la durée moyenne d'un LP de l'époque, soit la même durée que le prochain, Low
RépondreSupprimer@ Alf: et merci pour la nouvelle année, toi de même ;-)
RépondreSupprimerEn plus de Kraftwerk, Bowie écoutait visiblement beaucoup Neu! à cette époque (le génial duo Neu! étant des ex de Kraftwerk de toute façon) et ça se sent particulièrement sur la motorik du morceau titre... un album majeur mais au même titre que les autres pour moi, parce que même son album de reprises, je l'adore.
RépondreSupprimerSi y'a bien qqch qu'on ne peut reprocher aux rééditions c'est d'avoir levé le voile sur les groupes de krautrock: Faust, Can et les oubliés Neu! effectivement.
RépondreSupprimerEt encore ces trois là ne representent qu'une infime partie de l'iceberg krautrock ! (un vilain nom mais que tout le monde connait, personnellement je préfère "rock expérimental allemand" - plus long mais moins caricatural) - Certaines pistes de Ash Ra Tempel, Achim Reichel, Guru Guru ou du méconnu "Tarot" sont parfois encore plus impressionnantes que le triumvirat Faust, Can et Neu!
RépondreSupprimerBowie écoutait aussi pas mal Tangerine Dream à ce moment là (tout comme il cotoyait Ralp Hutter et Florian Schneider de Kraftwerk, il était également en contact avec Edgar Froese du Dream à cette époque). évidement, Eno n'allait pas tarder à apparaître.... .-)
RépondreSupprimerah ben je crois que ton article a du influencer quelqu'un on t'y cite a demi-mot...
RépondreSupprimerhttp://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/t/51696/date/2010-10-07/article/special-drogues-13-albums-stupefiants/
@ Diane: mais je ne suis pas Dr Frankenstein, je suis dr frankNfurter!! ;-)
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