Dans les souvenirs du préposé, la seule et unique adaptation du roman de Bram Stocker n'était autre que la superproduction réalisée par Francis Ford Coppola, enfin tel que l'on nous l'avait affirmé lors de sa sortie en 1992 [1]. Or si cette dernière s'avère sans conteste la plus fidèle, parmi les innombrables (re)lectures du mythe vampirique, et ceci malgré les libertés prises sur le texte originel, à savoir une esthétique empreinte d'érotisme et un personnage principal désormais perçu comme un monstre amoureux (ce qu'avait déjà esquissé le Dracula de John Badham en 1979) ; vingt ans auparavant, Jesús Franco avait lui aussi filmé sa version du roman de Stocker : Les nuit de Dracula. Une adaptation méconnue et pourtant aussi l'une des plus fidèles, avec le duo Christopher Lee / Klaus Kinski ; si ce n'est la plus fidèle depuis le Nosferatu de Murnau et bien avant celle de Coppola.
Comme annoncé en introduction, le scénario reprend la trame originale du roman, celle de Jonathan Harker (Fred Williams) traversant la Roumanie pour y rencontrer un client, le vieux comte valaque Dracula (Christopher Lee), et venu lui faire signer les actes de propriété de sa nouvelle demeure en Angleterre. Mais le vieil aristocrate, tout comme pouvait le laisser supposer les avertissements des autochtones apeurés en découvrant la destination du jeune homme, s'avère être un vampire. Abandonnant Harker à son triste sort, Dracula quitte sa terre natale pour la Hongrie [2] et y recouvrer une nouvelle jeunesse...
Comme annoncé en introduction, le scénario reprend la trame originale du roman, celle de Jonathan Harker (Fred Williams) traversant la Roumanie pour y rencontrer un client, le vieux comte valaque Dracula (Christopher Lee), et venu lui faire signer les actes de propriété de sa nouvelle demeure en Angleterre. Mais le vieil aristocrate, tout comme pouvait le laisser supposer les avertissements des autochtones apeurés en découvrant la destination du jeune homme, s'avère être un vampire. Abandonnant Harker à son triste sort, Dracula quitte sa terre natale pour la Hongrie [2] et y recouvrer une nouvelle jeunesse...
Tournée en Espagne et en Allemagne, cette coproduction britannico-italo-germano-liechtensteino-espagnole (ouf!) mérite, contrairement à ce que pourrait laisser croire sa nationalité incertaine une réévaluation. Or ce Count Dracula, dans sa version anglophone, devrait revêtir pour l'amateur de cinéma fantastique un intérêt certain, la présence de Christopher Lee dans son rôle fétiche justifiant à elle seule un visionnage. Quant aux aficionados de l'œuvre du grand Jesús ? Ce Dracula n'est rien de moins que le point de départ d'une thématique chère au cinéaste, maintes fois revu et rejoué à l'instar d'un standard de jazz, par celui qui aimait se donner entre autre comme pseudonyme Clifford Brown [3].
Les années 1968-1969 furent un véritable tournant dans la production cinématographique du madrilène. L'espagnol tourne à moindre coût autant de long métrages que possible, huit films sortirent ainsi durant l'année érotique, dont plusieurs produits par l'anglais Harry Alan Towers. Autant de films et autant de rencontres qui permettent également au cinéaste de se créer très rapidement un cercle d'acteurs complices, qu'on retrouve ainsi dans bon nombre de long métrages durant la prochaine décennie tel Paul Muller et, bien sûr, sa première muse, la future poupée psychédélique, Soledad Miranda. De même, réputé et reconnu comme l'incarnation même du "prince des ténèbres" dans l'imagerie populaire, Christopher Lee a finalement dû attendre de croiser la route du réalisateur du Sang de Fu Manchu (1968), qui fut sa première collaboration avec Jess Franco, pour incarner (enfin) à sa demande un comte Dracula fidèle au roman de Stocker [4].
Du fait des moyens mises à sa disposition, Franco livre une version globalement proche mais néanmoins épurée du comte Dracula ; le maître vampire apparaît davantage comme un être surnaturel rajeunissant au rythme de ses conquêtes anémiées. Par souci de simplification, certains rapports entre les personnages se veulent plus directs : le Dr. Seward (Paul Muller) officie dans la clinique du Prof. Van Helsing (Herbert Lom), et la jeune Lucy Westenra (Soledad Miranda) ne connait qu'un seul prétendant : Quincey Morris (Jack Taylor) ; Arthur Holmwood, son fiancé du roman originel, a volontairement disparu. Si quelques plans évoquent les précédents films de la Hammer, le réalisateur espagnol s'en éloigne néanmoins pour offrir une variation intéressante voire annonciatrice ; limitées et paradoxalement "aidées" par cette production low-cost, Les nuits annoncent d'une certaine manière la prochaine relecture contemplative de Werner Herzog, Nosferatu, fantôme de la nuit (1979). Kinski, qui après avoir interprété dans Justine de Sade le fameux le Marquis pour Jess Franco, joue ici un Renfield (nommé ici Reinfierd) inattendu, une prestation proche de la catatonie, bien plus dérangeante et inquiétante que l'habituelle transe psychotique du personnage.
Le film n'est évidemment pas exempt de reproches, ses faibles moyens et une second partie moins tendue jouent en sa défaveur. D'autres détails pourront à l'occasion faire sourire le spectateur, une végétation méditerranéenne faisant office d'environnement hongrois, des bergers allemands en guise de loups et même une chauve-souris en plastique tenue par un fil en guise de clin d'œil (?) aux antiques films d'horreur des années 30. Plus étonnant, l'interprétation sobre de Lee se retrouve même éclipsée par celle d'Herbert Lom en Prof. Van Helsing [5]. Montées pour la petite histoire par le débutant Bruno Mattei dans sa version italienne et accentuées par l'angoissante musique de Bruno Nicolai [6], ces Nuits de Dracula méritent toutefois amplement une nouvelle mise en lumière. Jesús Franco solde ses comptes de manière probante avant d'entamer l'année suivante sa vision personnelle et féministe du vampirisme moderne : Vampyros Lesbos.
Les nuits de Dracula (Nachts, wenn Dracula erwacht) | 1969 | 98 min
Réalisation : Jesus Franco
Production : Harry Alan Towers
Production : Harry Alan Towers
Scénario : Bram Stocker et Jesus Franco
Avec : Christopher Lee, Herbert Lom, Klaus Kinski, Soledad Miranda, Maria Rohm, Fred Williams, Paul Muller, Jack Taylor, Jesus Franco
Musique : Bruno Nicolai
Directeur de la photographie : Manuel Merino et Luciano Trasatti
Montage : Bruno Mattei (version italienne) et Derek Parsons
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[1] Le titre anglais du film s'autoproclamant implicitement de la sorte : Bram Stocker's Dracula.
[2] Dans sa version française.
[3] Nom d'un jeune trompettiste américain mort précocement en 1956 et futur ex-grand du hard bop mort à presque 26 ans.
[4] Parmi les nombreuses adaptations produites par la Hammer, seule la première de 1958 Le cauchemar de Dracula (Horror of Dracula) avec Lee est celle qui se rapproche le plus du roman originel.
[5] Plus connu en France parmi les initiés comme étant l'interprète du docteur Weizak du Dead Zone (1983) de David Cronenberg.
[6] Rencontré pour la première fois chez Franco en 1968 (tout comme Herbert Lom) dans L'amour dans les prisons des femmes (99 Women), et aussi compositeur du culte Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé (1972) de Sergio Martino.
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