Véritable
révélation il y a peu pour le préposé docteur (mais mieux vaut tard que jamais pour reprendre l'adage populaire), en n'oubliant pas sa
brève apparition lors du Bressonien Pickpocket (1959) en avril dernier, le comique universel de Pierre Étaix se devait d'être enfin présenté convenablement ici même. Tant qu'on a la santé,
troisième long métrage d'une courte filmographie de cinq longs et
plusieurs courts essentiellement tournés et écrits avec son complice
Jean-Claude Carrière dans les années 1960, fait suite au remarqué Yoyo,
primé lors du Festival de Cannes de 1965. Film sorti initialement en
1966, le cinéaste remonta une nouvelle version définitive cinq années plus tard. En 2010, après des années de
procédures judiciaires [1] et deux décennies d'invisibilité, l'auteur retrouva finalement les droits
sur son œuvre cinématographique. Ses films, désormais restaurés, pouvaient
à nouveau être diffusés au plus grand nombre.
Tant qu'on a la santé
est scindé en quatre parties indépendantes intitulées : Insomnie, Le
cinématographe, Tant qu'on a la santé et Nous n'irons plus aux bois. Le
court métrage Insomnie, tourné à l'origine en 1962 fut en
fait inclus dans la nouvelle version de 1971, tandis que la séquence
originelle prénommé En pleine forme est ressortie en 2010. Divertissement intemporel en quatre tableaux distincts, ce dernier se distingue par son comique visuel, hommage éternel aux rois du burlesque qu'étaient Buster Keaton ou le français Max Linder.
A l'exception du premier segment filmé pour moitié en couleur, les trois autres ont été tournés entièrement en noir et blanc. De même, si la forme
le différencie de la suite du métrage, Insomnie s'en détache également
sur le fond. L'ancien assistant de Jacques Tati [2] y narre les mésaventures d'un insomniaque qui lit un roman de vampires dans l'espoir paradoxal de trouver dans l'effroi un vecteur du sommeil. Le personnage principal, joué par le cinéaste lui-même, laisse libre cours, à mesure de sa lecture, à son imagination jusqu'à confondre et à mêler la réalité à la fiction. Si cette mise en bouche apparaît après visionnage décalée du reste, Étaix et Carrière jouent néanmoins magistralement avec les codes du cinéma d'horreur (du Dracula de Tod Browning au Cauchemar de Dracula de Terence Fisher) en dépassant le simple cadre de la parodie.
Le
cinématographe, Tant qu'on a la santé et Nous n'irons plus aux bois s'inscrivent plus, sinon dans la critique, du moins dans la douce satire des travers des contemporains de l'époque, en particulier la classe moyenne, fruit chéri des Trente Glorieuses. La société des loisirs incarnée un premier temps par la salle de cinéma et ses usagers, et la société de consommation symbolisée par sa myriade de nouveaux produits aussi farfelues que révolutionnaires, des lunettes invisibles à la bombe universelle [3], deviennent la cible de cet ironique deuxième chapitre. Entre ses déboires pour trouver une place disponible dans une salle bondée, et ses amis férus de modernité, le personnage d'Étaix n'aura d'autre choix que de trouver une sortie radicale pour échapper à ce monde qui lui échappe.
« Et n'oublie pas la bombe universelle :
foudroyante pour les insectes [...] délicieuse pour mes tartines [...] apaisante pour l'épiderme »
foudroyante pour les insectes [...] délicieuse pour mes tartines [...] apaisante pour l'épiderme »
Segment qui donne son nom au film, Tant qu'on a la santé est sans doute celui qui se rapproche le plus de Tati, avec en ligne de mire l'ambitieux Playtime (1967). Cette fable sur la vie citadine avec son lot de désagréments (surpopulation, pollution, bruit et embouteillage) a comme fil conducteur un médecin au bord du surmenage. Prescrivant à tour de bras des traitements contre le stress dont il devrait être le premier bénéficiaire, cet avant dernier chapitre sert de transition idéale à la conclusion Nous n'irons plus aux bois. Quittant la promiscuité urbaine pour le grand air des campagnes, à l'image du couple venu profiter de cet espace champêtre pour pique-niquer, cet éloignement momentané se fera cependant au détriment de la quiétude de l'autochtone. Quand l'homme devient un élément perturbateur et générateur de réaction en chaîne catastrophique, et sans doute la partie la plus proche de l'humour des maîtres du slapstick.
Artiste aux multiples talents [4], Pierre Étaix livre dans ce troisième film un divertissement complet. Sa puissance comique et son amour du jeu trouve de nouveau un allié de choix en la personne de Jean-Claude Carrière, la poésie burlesque du premier s'associant à merveille avec la précision et le don d'observation du second.
Fortement conseillé.
Réalisation : Pierre Etaix
Scénario : Pierre Etaix, Jean-Claude Carrière
Scénario : Pierre Etaix, Jean-Claude Carrière
Avec
: Pierre Etaix, Lydia Binaghi, Robert Blome, Emilius Coryn, Dario
Meschi, Bocky, Randel, Preston, Claude Massot, Denise Péronne, Bernard
Dimey, Alain Janey, Véra Valmont, Sabine Sun, Laurence Gallimard
Musiques : Jean Paillaud, Luce Klein, René Giner
Musiques : Jean Paillaud, Luce Klein, René Giner
Opérateurs : Jean Boffety, Pierre Levent, Christian Guillouet, Jacques Lefrançois
Montage : Henri Lanoë, Marie-Josèphe Yoyote, André Verlin, Raymond Lewin, Roger Salesse
Montage : Henri Lanoë, Marie-Josèphe Yoyote, André Verlin, Raymond Lewin, Roger Salesse
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[1] Une pétition circula même à l'époque pour le soutenir dans cette démarche dont les signataires furent Woody Allen ou David Lynch.
[2] Pierre Etaix fut à la fois son assistant pour Mon oncle (1958), gagman et dessinateur de l'affiche du troisième long métrage de Tati.
[3] Évoquant autant l'univers d'un Gaston Lagaffe que les futures fausses pubs des Nuls.
[4] Clown, dessinateur, gagman, musicien, réalisateur, décorateur, mime, poète, etc.
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