Remarqué et récompensé au festival de Sundance de 2015, lauréat du prix de la mise en scène pour Robert Eggers, The Witch aura autant suscité l'admiration que l'aversion du public, tant ce long métrage s'éloigne des films d'horreur contemporains. Une position qui n'est pas sans rappelée l'une des révélations, ou présentée comme telle, de l'année 2014, It Follows. A l'instar du second film de David Robert Mitchell, le scénario écrit par Robert Eggers se démarque des usuelles histoires de possession qui font encore florès Outre-Atlantique, pour revenir sinon aux sources du mal, du moins, aux prémices des hallucinations hystériques qui envahirent l'ancienne colonie britannique, et qui aboutirent au procès des sorcières de Salem en 1692 dans le Massachusetts. Entre thriller psychologique et film fantastique, le film promettait beaucoup. Trop. A l'image de sa bande annonce. Les meilleures intentions ne font pas toujours les meilleurs films, mais n'allons pas trop vite...
Nouvelle Angleterre, 1630. La famille de la jeune Thomasin (Anya Taylor-Joy), ses parents et ses frères et sœur, est menacée d'être bannie par la communauté de colons à laquelle il appartient, le père William (Ralph Ineson) ayant une autre interprétation de la bible. La famille décide de quitter la colonie et de vivre à l'orée de la forêt voisine. Quelques temps plus tard, la famille étant désormais installée, la mère, Katherine (Kate Dickie), donne naissance à un cinquième enfant, Samuel. Tandis que celui-ci était sous la surveillance de Thomasin, Samuel disparaît mystérieusement non loin du bois...
Production indépendante tournée en vingt-cinq jours, The Witch se distingue, en premier lieu, par le soin apporté au cadre et à l'atmosphère sombre, inspirée par cette période de désordre, minée par les luttes intestines et la paranoïa puritaine. Prenant le parti pris de l'authenticité, Robert Eggers décrit avec un soin particulier la vie de ces colons exilés, accordant une place prépondérante à moult de détails historiques, des costumes, aux décors, jusqu'aux dialogues et vocabulaire utilisés par les personnages [1], pas étonnant de la part d'un cinéaste qui est également chef
décorateur et costumier depuis presque une décennie [2]. Photographié par le chef opérateur, Jarin Blaschke, le film suit également cette même ligne esthétique austère, Blaschke indiquant par la suite que The Witch fut dans l'ensemble filmé en lumière naturelle. De ces choix techniques, plus la musique composée par Mark Korven (The Cube), et le jeu des acteurs, à l'image de la jeune Anya Taylor-Joy, révélation de The Witch, dans le rôle de cette fille ainée innocente, témoin et victime des tensions auxquelles sa famille est confrontée, tout concourrait à faire de ce film une œuvre marquante. Las. Les dés étaient pipés depuis le début.
Pris au piège d'un scénario bancal, The Witch déçoit à mesure que le récit progresse jusqu'à sa piètre conclusion. Pire, confronté à Rosemary's Baby, le long métrage ayant plusieurs fois été comparé au classique de Roman Polanski, l'histoire fait apparaître plusieurs incohérences proches du rédhibitoire. N'aurait-il été plus judicieux de semer davantage le trouble dans l'esprit du spectateur en laissant planer le doute sur l'existence véritable de la sorcière ? Au contraire, dès la disparition du petit Samuel, Eggers désigne la résidente des bois comme la première responsable (ou plutôt le catalyseur) des maux de cette famille de puritains, avant que celle-ci ne daigne, par la suite, s'occuper du fils ainé du couple en guise d'attaque finale. Un choix d'autant plus sujet à caution, que la majeure partie de l'histoire joue sur les tensions qui désagrègent cette famille : la défiance de la mère vis à vis de sa fille, le renoncement du père, le comportement des jumeaux qui prétendent communiquer avec le bouc, Philippe le noir, etc. De cette intrusion boiteuse du surnaturel, le scénario de The Witch et ses différents atermoiements laissent un goût d'inachevé, son dénouement grotesque soulignant encore un peu plus les erreurs de départ. Il y avait pourtant matière à développer, telle l'opposition entre l'homme et la nature. Au contraire, Eggers quitte les frontières de l'étrange, qu'il n'a jamais pleinement abordé, pour mieux verser dans un folklore satanique bon marché et prévisible, avec bouc luciférien en sus [3]. Le cinéaste aurait voulu donner l'impression qu'il ne savait pas comment clore son film, il n'aurait pas fait mieux. Reste un sabbat, certes inutile, mais esthétique.
Décevant. The Witch augurait pourtant du meilleur.
The Witch | 2015 | 92 min
Réalisation : Robert Eggers
Scénario : Robert Eggers
Avec : Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie, Harvey Scrimshaw, Ellie Grainger, Lucas Dawson
Musique : Mark Korven
Directeur de la photographie : Jarin Blaschke
Montage : Louise Ford
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[1] Ce que ne manqua pas de souligner les premiers contradicteurs du film, ces derniers goutant peu à l'anglais du XVII ème siècle.
[2] Eggers a travaillé pour de nombreux courts métrages dont l'un des premiers fut Hansel and
Gretel qu'il mit en scène en 2007.
[3] Le réalisateur aurait sans doute mieux fait de s'inspirer davantage de Bergman ou Polanski.
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