Black Emanuelle en Orient - Joe D'Amato (1976)

Première séquelle officielle du long métrage Black Emanuelle [1] mis en scène une année plus tôt par le transalpin Bitto Albertini, Black Emanuelle en Orient fut le premier volet de la série réalisé par celui qui allait lui donner ses lettres de noblesse supra-déviante, Joe D'Amato. Produit dans la foulée de Voluptueuse Laura, Laura Gemser y reprenait son rôle de journaliste hédoniste, concluant par la même occasion pour la seule année 1976, sa troisième collaboration avec l'auteur des quatre futurs autres épisodes [2] (Black Emanuelle en Amérique, Black Emanuelle autour du monde, Emanuelle chez les cannibales ou Emanuelle et les filles de Madame Claude). Mieux, et comme pouvait le laisser supposer les deux précédents longs métrages réalisés par Aristide Massaccesi, de son vrai nom, ces nouvelles aventures sensuelles de la belle Emanuelle noire allaient recevoir les félicitations des censeurs du monde entier. Mais n'allons pas trop vite.

Quittant Venise, Emanuelle (Laura Gemser), accompagnée de son ami et archéologue Roberto (Gabriele Tinti), se rend à Bangkok, en Thaïlande, dans le but d'interviewer et de photographier le Roi. Sur place, elle rencontre le Prince Sanit (Ivan Rassimov), cousin du Roi, qui l'initie au plaisir de la relaxation orientale. Devenu amie avec sa masseuse Gee, Emanuelle fait la connaissance par l'intermédiaire de Roberto d'un couple d'américains, Jimmy (Giacomo Rossi Stuart) et Frances (Ely Galleani). Tandis que son ami quitte l'Asie pour de nouvelles fouilles près de Casablanca, Emanuelle reçoit des nouvelles du Prince qui lui a arrangé un rendez-vous avec la première maîtresse du Roi qui vit désormais dans un temple abandonné...
 

Écrit par Maria Pia Fusco, scénariste la même année du Salon Kitty de Tinto Brass, Black Emanuelle en Orient poursuit la trajectoire érotique prise par Joe D'Amato débutée par Emmanuelle et Françoise l'année précédente [3]. A l'image du titre du film malicieusement trompeur, le dernier tiers du long métrage se situant finalement au Maroc, ce deuxième chapitre de Black Emanuelle se démarque à plus d'un titre, justement, du modèle originel. Ainsi, à défaut d'être l'initiateur de la série débutée par le Turinois Albertini, le Romain D'Amato y imprimait, sans surprise, son style en y intégrant, comme dans Voluptueuse Laura, différents éléments inspirés par le Mondo : de la visite des temples anciens aux danses traditionnelles Thaï, en passant, comme il se doit, de la découverte des salons privés et autres clubs locaux, de la sensualité saphique du body massage au talent caché des strip-teaseuses Bangkokiennes. Passé maître dans sa fonction de tour-opérateur Mondo, le réalisateur n'oubliait pas, toutefois, de pimenter son métrage avec plusieurs scènes animalières, du combat de coqs à la lutte homérique et létale entre une mangouste et un cobra royal. Dont acte.

D'un récit contant les multiples relations amoureuses de son héroïne globetrotteuse du sexe, le long métrage propose, dès lors, un vaste catalogue de situations et un large éventail de partenaires, sur les deux continents, tout sexe confondu, afin de satisfaire la soif de cul...ture du spectateur. Du passage obligé et attendu, cité précédemment, du body massage oriental aux amitiés charnelles à 30 000 pieds d'altitude, la sublime Emanuelle s'adonne à tous les plaisirs, avec une préférence certaine pour ceux prodigués par la gent féminine, le mâle pouvant être considéré au mieux comme une expérience précisément culturelle (des propres mots de la première intéressée), à l'instar des bédouins croisés dans le désert marocain, au pire comme un seul substitut, à l'image du jeune employé d'hôtel.


Film de transition, à la vision des futures scènes choc des épisodes suivants [4], et du goût immodéré et calculé de D'Amato pour le scandale, Black Emanuelle en Orient, en sus des deux scènes de cruauté animalière précitées, et de la strip-teaseuse cachant en son « for intérieur » des balles de ping-pong, a donc bénéficié des hommages de la censure, britannique en particulier, comme à l'accoutumée, qui amputa de plusieurs minutes supplémentaires [5] ledit long métrage, les censeurs goûtant peu, cette fois-ci, la scène du viol d'Emanuelle par les gardes du corps du Roi. Une séquence d'autant plus choquante que l'héroïne apprécie le traitement qui lui ait fait, du moins ne semble nullement affectée par l'agression dont elle est la victime. A bien y regarder de près, le réflexe premier serait de conclure que le réalisateur se fait le héraut provocateur et phallocrate des pulsions malsaines, ledit viol n'étant au juste qu'une conséquence et le résultat de la vie débridée de l'héroïne. Or, ce serait mal connaitre les thématiques de Joe D'Amato et sa vision personnelle des rapports hommes/femmes.

Sous couvert de mettre en scène des films bis, celui qui se définissait comme un simple artisan du cinéma d'exploitation ne cacherait-il pas derrière son apparente superficialité, en fait, la figure d'un moraliste ? Sans forcément contredire sa position de film érotique pour un public mâle, jouant avec les clichés hétérosexuels du lesbianisme, le personnage de Black Emanuelle apparaît ainsi plus complexe qu'il n'y parait, l'interprétation de Laura Gemser n'y étant également nullement étrangère. Telle une somnambule, la jeune femme traverse le film sans émotions apparentes, une nonchalance en guise de protection face à la possessivité, l'homophobie et la misogynie qui l'entoure. Mieux, la photojournaliste, non contente de ne laisser indifférent aucun personnage masculin, endosse le rôle d'agente perturbatrice et ambassadrice de l'amour libre saphique auprès des femmes qu'elle croise, de Frances, épouse de Jimmy, à Janet, collègue et maîtresse de Roberto, de Gee, la masseuse Thaï, à l'innocente Debra (interprétée par Debra berger, fille de William), fille de l'ambassadeur étasunien au Maroc. Sans verser dans le féminisme, le récit, portrait acide d'une révolution sexuelle inaboutie, écrit par Maria Pia Fusco, conforte finalement la vision pessimiste et misandre du cinéaste, position qui ne manque pas de piquant quand on sait à quel public était destiné ce genre de long métrage.

 
D'un casting masculin composé de plusieurs figures du cinéma bis italien, de l'incontournable Gabriele Tinti à Ivan Rassimov, connu auparavant pour ses rôles dans des westerns 60's puis giallos au début de la décennie 70, ou de Venantino Venantini dans le rôle de l'ambassadeur, Black Emanuelle en Orient se démarque enfin par la bande originale signée par Nico Fidenco, auteur de l'ensemble des musiques de la série.



Emanuelle nera: Orient reportage (Black Emanuelle en Orient) | 1976 | 88 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Joe D'Amato
Scénario : Maria Pia Fusco d'après une histoire d'Ottavio Alessi, Maria Pia Fusco et Piero Vivarelli
Avec : Laura Gemser, Gabriele Tinti, Ely Galleani, Ivan Rassimov, Venantino Venantini
Musique : Nico Fidenco
Directeur de la photographie : Aristide Massaccesi
Montage : Vincenzo Tomassi ___________________________________________________________________________________________________

[1] A ne pas confondre avec la fausse séquelle Black Emanuelle 2 réalisée par ce même Bitto Albertini avec dans le rôle-titre, désormais, la dénommée Shulamith Lasri.

[2] Ledit Emanuelle et les collégiennes (1977) signé Giuseppe Vari pouvant davantage, par son incursion dans la nunsploitation, se définir comme une sorte de spin off qu'une véritable suite.

[3] Édité l'année dernière en Blu-ray par le Chat qui fume.

[4] De la scène zoophile au film snuff en passant par plusieurs cadrages explicites dans Black Emanuelle en Amérique.

[5] Soit approximativement d'après le site movie-censorship.com un peu moins de 4 minutes trente secondes.

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