Quelque part dans le temps - Jeannot Szwarc (1980)

Auteur mythique du roman Je suis une légende en 1954, l'écrivain et scénariste américain Richard Matheson marqua de son empreinte le grand et le petit écran au cours du 20ème siècle. De ses débuts au cinéma avec l'adaptation de son roman L'homme qui rétrécit par Jack Arnold en 1957 à sa participation à la série créée par Rod Serling La Quatrième dimension entre 1959 et 1964, en sus de ses collaborations avec Roger Corman et Dan Curtis, respectivement dans les années 60 et 70, le pessimiste et rêveur Matheson œuvra au cours de sa vie comme l'une des figures incontournables du genre fantastique et science-fictionnel [1]. En 1975, le romancier, avec Le Jeune Homme, la Mort et le Temps, lauréat du Prix World Fantasy du meilleur roman l'année suivante, s'écartait de la SF pure et dure pour intégrer sous fond de voyage dans le temps une romance entre un jeune dramaturge et une actrice de théâtre. Cinq ans plus tard, fort du succès au box-office en 1978 avec la suite des Dents de la mer, le français Jeannot Szwarc adaptait le roman de Matheson, ce dernier en signant le scénario.

Mai 1972. Le soir de la première représentation de sa toute première pièce de théâtre, Richard Collier (Christopher Reeves) est abordé par une vieille dame (Susan French) qui lui remet une montre de poche et lui confie ces mots mystérieux : « Reviens-moi ». Huit ans plus tard, alors qu'il essaie de trouver l'inspiration pour sa nouvelle pièce, Richard est étrangement captivé par la photographie d'une jeune femme exposée au musée du Grand Hôtel situé sur l'île Mackinac dans le Michigan. Avec l'aide d'Arthur Biehl (Bill Erwin), un vieil homme qui travaille à l'hôtel depuis 1910, Richard découvre que cette femme se prénomme Elise McKenna (Jane Seymour), une célèbre actrice des années 1920 qui séjournait dans l'établissement en 1912. En approfondissant ses recherches auprès de Laura Roberts (Teresa Wright), biographe d'Elise McKenna, il apprend que cette dernière était la vieille dame qui lui avait remis la montre huit ans plus tôt, et qu'elle est morte le soir de leur rencontre...
   

Premier long métrage de Christopher Reeve depuis le monumental succès de Superman (1978) [2], Quelque part dans le temps connut une tout autre destinée lors de sa sortie aux États-Unis en octobre 1980. Fraichement accueilli par la critique, mal distribué et sorti en pleine grève de la Screen Actor's Guild [3], le long métrage accumula tant les obstacles que celui-ci avait tout pour devenir une décennie plus tard l'exemple type du film culte [4], ce qu'il est devenu Outre-Atlantique depuis la création du fan-club officiel en 1990, le International Network of Somewhere In Time Enthusiasts (I.N.S.I.T.E.), dont les membres se réunissent chaque année au Grand Hôtel.

Un an après C'était demain de Nicholas Meyer, qui voyait l'écrivain H.G. Wells (Malcolm McDowell ) poursuivre Jack l'Éventreur (David Warner) dans un San Francisco contemporain, Quelque part dans le temps reprenait donc le thème du voyage intertemporel, à ceci près qu'il n'était pas question ici de machine ou de technologie permettant un tel périple. Influencé par l'auteur John Boynton Priestley et son livre L'Homme et le Temps (1964), et par le roman de Jack Finney [5] Le Voyage de Simon Morley (1970) qui appliquait déjà le même principe (controversé) basé sur l'autohypnose afin de persuader l'esprit du voyageur qu'il est dans le passé, Richard Matheson lève toutefois dans son scénario, contrairement à son roman, toute ambiguïté quant à la véracité de l'expérience de Richard Collier (la tumeur au cerveau du héros indique dans le roman qu'il s'agit en fait d'une série d'hallucinations).

Inspiré pour son roman par sa propre découverte du portrait de l'actrice américaine Maude Adams (1872-1953), auquel le personnage d'Elise McKenna emprunte plusieurs éléments de sa biographie (dont son isolement volontaire ou la relation protectrice de son agent joué par Christopher Plummer), Richard Matheson y décrit ce qui découlerait d'un tel coup de foudre si le personnage principal pouvait remonter le temps [6]. Marqué par le classique des années 40, Le portrait de Jennie (1948) de William Dieterle, Jeannot Szwarc met, dès lors, en scène une romance au charme volontairement rétro teintée d'accents mélodramatiques (les deux amants sont voués à se séparer, le voyage dans le temps étant aux yeux du pessimiste Matheson autant une opportunité qu'une malédiction).

Porté par l'interprétation de ses deux acteurs principaux et par la musique de John Barry, Quelque part dans le temps aurait sans doute gagné à exploiter davantage certains aspects liés aux paradoxes du voyage temporel (des malentendus d'un Richard Collier provenant du futur) ou à développer d'autres fragments (les dons de prescience de son agent William Fawcett Robinson qui avait prévenu Elise McKenna de l'arrivée d'un homme qui changerait sa vie). Qu'importe. La romance délicieusement surannée prime sur le reste.

En marge des productions de l'époque, l'argument fantastique se situant à mille lieux de la science-fiction alors en vogue, Quelque part dans le temps s'inscrit désormais comme un classique du genre.





 
Somewhere in Time (Quelque part dans le temps) | 1980 | 103 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Jeannot Szwarc
Scénario : Richard Matheson, d'après son roman Le Jeune Homme, la Mort et le Temps
Avec : Christopher Reeve, Jane Seymour, Christopher Plummer, Teresa Wright, Bill Erwin
Musique : John Barry
Directeur de la photographie : Isidore Mankofsky
Montage : Jeff Gourson
 ___________________________________________________________________________________________________ 

[1] Matheson opéra également dans la série noire avec par exemple Someone Is Bleeding qui fut adapté par Georges Lautner en 1974 sous le titre Les seins de glace avec Mireille Darc et Alain Delon.

[2] Superman II sortira deux mois plus tard en fin d'année.

[3] A cause de la grève, Reeve et Seymour n'étaient pas autorisés à promouvoir le film. Pire, contrairement à l'usage à l'époque et compte-tenu du type du budget limité du film, Universal décida d'organiser une sortie nationale alors qu'il semblait plus indiqué de faire fonctionner le bouche à oreille et de distribuer le long métrage progressivement à travers le pays. 

[4] Distribué en 1984 pour le marché asiatique, le film est devenu un véritable succès, celui-ci restant dix-huit mois à l'affiche au Palace Theatre de Hong Kong. Fin 1990's, le film était classé sixième parmi les plus gros succès de tous les temps en Chine. 

[5] En guise de clin d'oeil, l'ancien professeur de Richard Collier qui initie ce dernier à l'autohypnose porte le même nom.

[6] Comme souvent dans ce genre de récit, Matheson joue aussi avec le principe du paradoxe temporel matérialiser par l'origine de la montre. 

1 commentaire:

  1. La question qui rend fou quand on voit ce très beau film curieusement peu connu : " Comment peut-elle lui (re)donner la montre, alors que celui-ci n'est pas encore remonté dans le temps pour la lui offrir ?" Ah ces paradoxes temporels !

    RépondreSupprimer