Publiées une première fois en mai 2004, les mémoires originelles de Jesús Franco Manera, dit Jess Franco, sont enfin disponibles et traduites en France, depuis fin juin, grâce aux bons soins conjoints du traducteur Edgard Baltzer et de l'éditeur Serious Publishing. Mieux, annotées et complétées, elles sont loin d'être une simple traduction littérale de l'autobiographie du cinéaste espagnole, auteur de plus de deux cents films. Complémentaire à la Bible francienne écrite par Alain Petit, Jess Franco ou les prospérités du bis en 2015, ces mémoires incomplètes (on y reviendra) n'en demeurent pas moins une riche source d'informations, tant sur le fond que sur la forme, pour celui ou celle qui souhaiterait en découvrir davantage sur celui qui fut, il n'y a pas encore si longtemps, considéré, avant une réhabilitation cinéphile tardive au soir de sa vie, comme un « escroc doublé d'un vil pornographe ».
De sa naissance en 1930, à Madrid, à la sortie de Necronomicon, trente huit ans plus tard, Les mémoires de l'oncle Jess invitent le lecteur à remonter le fil des quatre premières décennies d'existence du réalisateur : de ses années de formation, du conservatoire de musique de Madrid à son exil parisien à la Cinémathèque française, puis à l'I.I.E.C [1], à ses années en tant qu'assistant auprès de ses collègues Juan Antonio Bardem et Luis García Berlanga, de ses débuts dans la réalisation à ses rencontres et ses relations avec des personnages aussi différents (le mot est faible) que haut en couleur comme Orson Welles et Marius Lesoeur. A la fois « récit picaresque et roman d'apprentissage », celles-ci n'ont rien, le contraire aurait été surprenant de sa part, d'une simple collection de ses meilleurs souvenirs. D'un cinéaste connu des francologues pour son aptitude à brouiller les pistes, voire, pire, sa propension à jouer les « affabulateurs sincères », l'entreprise à laquelle s'est attelé Edgard Baltzer n'avait rien d'une sinécure. Fruit, en amont, de nombreuses recherches auprès de collaborateurs ou d'amis de Franco, au sein
d'archives ou de bibliothèques espagnoles, Edgard Baltzer a pu, à défaut de pouvoir dénouer le vrai du faux, apporter moult d'informations et autres renvois
chronologiques sous forme de notes historiques, politiques et sociétales.
De cette chronologie désordonnée, à grand coups d'inserts et de flashbacks, le livre s'inscrit, on l'aura compris, comme un document rare de la pensée francienne : de ses réflexions techniques et critiques à ses « jugements à l'emporte-pièce ». Élevé sous le Franquisme, et qui a subi le joug familial, avant de connaitre par la suite les affres de la censure, Jess Franco livre, enfin, sans surprise, dans ses mémoires un plaidoyer libertaire contre toutes les formes d'oppression.
Riche en photos d'exploitation, extraits de dossier de presse et autres accroches publicitaires, et fort de plusieurs documents complémentaires appréciables dont un excellent article sur les liens entre Franco et la bande-dessinée sous toute ses formes (des fumetti per adulti aux œuvres de son compatriote Manuel Vásquez), Les mémoires de l'oncle Jess est un ouvrage indispensable pour tout amateur francien qui se respecte. Seul regret [2], on aurait sans aucun doute aimer que l'oncle Jess écrive un second tome de ses mémoires, comme il avait laissé entendre lors de sa publication au mitan des années 2000, voire, soyons fou, un troisième entièrement consacré à ses actrices, dont ses deux muses, Soledad Miranda et Lina Romay.
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[1] Institut de recherche et d'expériences cinématographiques : école de cinéma espagnole créée en 1947 pendant la dictature franquiste.
[2] Sur la forme, le livre aurait gagné, pour faciliter la lecture, à incorporer un Index. Dommage.
Réussir à "lier" dans la même phrase Orson Welles et Marius Lesoeur, est exceptionnel - un peu comme la carrière atypique de l'Oncle Jess !
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