Présenté en avant-première le 7 septembre 2016 lors de L'Étrange festival, l'habitué des lieux, le japonais Sono Sion, fit de nouveau sensation avec Antiporno. Commande nostalgique initiée par la Nikkatsu, déjà productrice des notables Cold Fish et Guilty of Romance, ce film, au même titre que les quatre autres commandes mises en scène par des réalisateurs de renom (divers) de l'archipel (Hideo 'The Ring' Nakata, Akihiko 'Harmful Insect' Shiota, Isao 'A Day on the Planet' Yukisada et Kazuya 'The Devil’s Path' Shiraishi), n'avait d'autre ambition que de faire revivre, par cet hommage, les grandes heures du cinéma d'exploitation nippon, et de fêter le quarante-cinquième anniversaire du premier Roman Porno de la Nikkatsu. Productrice au début de la décennie 70's de films érotiques dérivés du pinku eiga, ces films exploités à petits budgets [1] jusqu'à la fin de la décennie suivante se démarquaient autant par leurs thèmes, la sexualité des classes populaires (la série Apartment Wife) ou le sadomasochisme [2], que la relative liberté dont jouissaient les réalisateurs au cours de ces années 70. Finalement convaincu de participer à ce tribute, malgré ses nombreuses réticences au départ, Antiporno s'avère, non content d'être une réussite, une entreprise de sabordage de la part du frondeur Sono Sion, déboulonnant un projet supposé seulement sexy, au grand dam des dirigeants du studio. Film empreint du contexte social et politique du Japon de 2016, le long métrage n'aura jamais aussi bien porté son nom, antithèse du film pornographique, son auteur y dynamite, sinon pervertit, le genre pour mieux pointer du doigt, dixit son héroïne, "une société de merde et sa liberté de merde, ses hommes de merde qui dominent tout". Mais n'allons pas trop vite...
Artiste indépendante renommée, Kyôko (Ami Tomite) est une écrivaine et peintre piégée par son propre succès. Hantée par le souvenir de sa défunte sœur Taeko, celle qui se définit comme une "pute, mais vierge", passe le plus claire de son temps enfermée dans son studio. Un matin, son assistante Noriko (Mariko Tsutsui), plus âgée qu'elle, vient lui présenter le programme de la journée, dont une interview par un célèbre magazine. Soumise aux humiliations et jeux pervers de Kyôko plongée en pleine névrose, les deux femmes sont soudainement interrompues par la voix d'un cinéaste criant "Coupez !".
Quatrième volet de la série des Roman Porno Reboot Project, après Wet Woman in the Wind d'Akihiko Shiota et Aroused by Gymnopedies d'Isao Yukisada, Antiporno s'éloigne, comme évoqué en préambule, tant sur le fond que sur la forme, de la commande nostalgique. Film faussement érotique où le sexe est volontairement éludé, sinon abordé de manière biaisé, par son auteur, Antiporno déjoue la condition tacite du Roman Porno, qui veut une scène de sexe toutes les dix minutes. D'une première demi-heure débridée mais cadrée, le récit éclate, se fragmente, la narration devient aléatoire imprégné à mesure par l'inconscient de son héroïne révoltée et impuissante [3]. Mieux, tour à tour déconstruction et remise en cause du cinéma en tant que médium voyeuriste, le long métrage offre une tribune féministe à Sono Sion en s'attaquant à l'instrumentalisation de la sexualité féminine, orchestrée par des hommes pour un public mâle en manque d'excitation sexuelle. De cette inversion permanente des rôles et des rapports de force, entre la jeune artiste et son assistante, ou actrice de dix-huit ans souffre douleur de l'équipe de tournage, Sono Sion élabore une mise en abîme des plus amers en se plaçant du côté des femmes japonaises, victimes du patriarcat séculaire nippon. Le cinéaste indique clairement que les rapports de force entre les deux genres n'ont guère évolué, pire, que la liberté sexuelle des femmes n'est qu'artifice.
Reprenant sienne la devise des longs métrages 70's qui ne se focalisaient pas exclusivement sur le côté (soft) porno, Sono Sion imprègne son film du contexte politique actuel, avec en ligne de mire l'opposition de la jeunesse nippone envers le Premier ministre conservateur, en fonction depuis 2012, Shinzō Abe. Évoquant ainsi la démarche de ses glorieux aînés des années 60, Nagisa Oshima et Kôji Wakamatsu en tête, le long métrage fut tourné durant les manifestations estudiantines anti Abe [4] du SEALD (Students Emergency Action for Liberal Democracy), manifestations auxquelles participèrent Sion et son actrice principale (déjà présente l'année précédente dans Tag et The Virgin Psychics).
D'un récit mêlant passé et présent, réalité et fiction, Sono Sion illustre l'état mental protéiforme de son héroïne par une utilisation aiguë, sinon survoltée, de la couleur, renouant de la sorte avec les formes de ses précédent.e.s films/périodes. Critique acerbe de la sexualité vue comme un tabou par la société symbolisée par les parents de Kyôko, la jeune femme et ses multiples facettes n'auront d'autres choix que la transgression par la sexualité, sans pouvoir trouver toutefois une quelconque issue, à l'image des couleurs marronnasses dans lesquelles elle s'ébat à la fin du film, cherchant en vain une sortie à cet état... à ce pays.
Sono Sion, cinéaste politique. Qui en doutait encore ?
En bonus : D'autres gifs du film sur notre tumblr.
En bonus : D'autres gifs du film sur notre tumblr.
Réalisation : Sono Sion
Scénario : Sono Sion
Avec : Ami Tomite, Mariko Tsutsui, Asami, Fujiko
Musique : Susumu Akizuki
Directeur de la photographie : Maki Itô
Montage : Jun'ichi Itô
_______________________________________________________________________________________________
[1] Longs métrages produits à la chaîne (de l'ordre six ou sept films par mois) qui permirent aussi de renflouer les caisses de la Nikkatsu, le cinéma japonais subissant de plein fouet à cette époque la désertion du public au profit du petit écran.
[2]
Flower and Snake (1974) de Masaru Konuma est considéré comme le premier Roman Porno sadomasochiste, suivi la même année de Wife to be Sacrificed du même Konuma.
[3] Les manifestations apparaissent, en guise de toile de fond, à l'écran de télévision dans la maison de Kyôko.
[4] Le scénario évoque autant les va-et-vient d'un Into a Dream signé par Sono Sion que le classique de l'animation japonaise Perfect Blue.
intéressant, même si je doute voir un jour ce film.
RépondreSupprimer