Auteur d'un premier documentaire Boy I Am (2006) qui faisait le portait de trois jeunes hommes transgenres à New-York, Sam Feder signait cette année, présenté en avant-première au festival de Sundance, un nouveau documentaire, Identités trans, au-delà de l'image, dont le sujet était la représentation des transgenres par Hollywood et les médias étasuniens, et leurs impacts sur la vie des transgenres et sur la culture américaine. Vaste sujet tant ladite représentation est apparue aux origines du cinéma muet, quand le sinistre blackface côtoyait le travestissement. Véritable étude exhaustive où la parole donnée est volontairement et exclusivement offerte aux premier.e.s concerné.e.s, FTM et MTF [1], Disclosure: Trans Lives on Screen s'attache à décortiquer comment cette représentation, faussée, faut-il s'en étonner, a porté préjudice aux transgenres, tant dans la manière dont iels se percevaient et dans celle où le public les percevait.
"Chaque personne trans porte en elle l'histoire de la représentation trans à travers ce qu'elle a vu"
Jen Richards (actrice, autrice)
Pendant près d'un siècle, Hollywood a montré au public comment réagir face à la transidentité, soit par le rire, la peur ou la répulsion. Il aura fallu attendre le mitan des années 2000 pour voir enfin un tournant s'opérer Outre-Atlantique avec la série Dirty Sexy Money, en 2007, quand l'actrice Candis Cayne entra dans l'histoire en interprétant une femme transgenre mise en avant pour sa transidentité assumée. Un premier pas auprès du grand public à contre-courant du conditionnement des images et des préjugés qui s'en dégageaient depuis des décennies, après le combat des pionnières nommées Elizabeth Coffey Williams, Ajita Wilson ou Tracey Norman.
"Comment je me sentirais en tant que personne trans si je n'avais jamais vu de représentation dans les médias. D'un côté, je n'aurais peut-être jamais intériorisé ce sentiment d'être monstrueuse, de craindre la révélation, de me voir comme un être répugnant et comme une blague"
Jen Richards (actrice et autrice)
Documentaire propre à faire grincer les dents de nombre de cinéphiles, Sam Feder revient sur les origines cinématographiques de ces représentations faussées. Du cliché usuel perpétuant l'idée que lea transgenre est une blague, se déguisant pour faire rire les autres, Identités trans se démarque en rappelant que pendant des années le cinéma a montré au public que la transidentité était perçu avant tout comme une menace. Pionnier du genre, Alfred Hitchcock avec son troisième film parlant Meurtre (1930) fut l'un des premiers à avoir filmé l'idée que des personnes au genre dit transgressif pouvaient ainsi cacher des psychopathes, des tueurs ou des pervers, concept qui fut repris par exemple par son génial disciple Brian de Palma dans Pulsions un demi-siècle plus tard. Sam Feder soulève un point crucial qu'il développera par la suite en fonction des représentations. La question n'est pas d'accuser les cinéastes, scénaristes ou autres de transphobie, ou même un film en particulier, mais plutôt de remettre en cause ce type de représentation quand celle-ci, et les clichés qu'elle traîne avec elle, devient une norme jusqu'à provoquer un conditionnement des personnes. A l'instar du Silence des agneaux, et en dépit des qualités de ces fictions, ces tueurs en série psychopathe deviennent aux yeux du grand public des exemples de transidentité visible. Pire, dans le cas de Buffalo Bill, celui-ci conforte et illustre littéralement l'argument de certaines féministes TERF [2] qui accusent les femmes transgenres de seulement vouloir s'approprier le corps féminin.
"Etre invisible est un privilège comparé à la transphobie"
Nick Adams (Directeur de la GLAAD - Gay & Lesbian Alliance Against Defamation)
Autre cas récurrent, maintes fois reproduit par le cinéma, puis repris par la télévision, la répulsion engendrée par la découverte de la transidentité s'inscrit comme l'une des représentations les plus communes et malaisantes. Un long métrage supposé bienveillant peut véhiculer contre son gré une image désastreuse comme le lauréat de l'Oscar du meilleur scénario original en 1992, The Crying Game de Neil Jordan, où quand la seule réaction naturelle (?!) à la découverte de la transidentité est de frapper au visage la transgenre, de vomir puis de s'enfuir. Cette autre représentation soulève deux autres problèmes, la transphobie latente qui s'en dégage, ou la peur de l'homme hétéro d'être perçu comme gay car celui-ci est attiré par une femme trans.
Le film de Neil Jordan illustre aussi une autre violence envers les femmes trans, celle de faire jouer les femmes trans par des hommes. Au-delà des performances convaincantes, à l'instar du récent The Danish Girl (2015) de Tom Hooper, il est inconcevable que la transidentité de nos jours soit ainsi encore réduite à une performance d'acteur masculin et de féminité factice avec beaux cheveux, maquillage et belles tenues en sus. L'histoire du cinéma a retenu que le rôle dévolu au jeune Chris Sarandon pour le rôle d'Elizabeth Eden dans Un après-midi de chien (1975) de Sidney Lumet aurait dû être tenu par l'actrice trans Elizabeth Coffey Williams. Or, telle la vraie Elizabeth Eden, celle qui fut révélée par John Waters fut écartée par la production car elle ressemblait trop à une « vraie » femme pour le rôle. La représentation d'un travesti correspondait ainsi mieux à l'idée que devait se faire le grand public de la transidentité féminine, tel en avait décidé la production du film.
"Comme les 80 % d'Américains qui ne connaissent pas de trans, bien souvent, les trans non plus ne connaissent pas d'autres trans. Donc, on cherche les gens comme nous dans les médias"
Nick Adams (Directeur de la GLAAD - Gay & Lesbian Alliance Against Defamation)
Or, la faible représentation dans les médias des hommes trans fut pendant longtemps un vrai sujet. Alors que dans la réalité, les FTM représentent en soit la moitié des transgenres, leur quasi absence reflétait cyniquement une simple vérité marchande. Trans ou non, une femme sera toujours plus facile à « vendre » qu'un homme auprès des annonceurs et du public. La visibilité des FTM est devenue apparente dans les années 2000 avec la série The L World, avec Max, premier personnage d'homme trans récurrent dans une série télé. Mais, au fil des saisons, les scénaristes et productrices de la série ont révélé involontairement la transphobie qui existe dans une partie de la communauté LGBTQA+, le traitement hormonal pris par Max étant considéré comme une trahison envers sa féminité (sic). Pire, alors que la représentation des afro-américain.e.s est intimement liée celle des transgenres depuis l'ère du cinéma muet, cette même représentation est doublement problématique pour les transgenres issus de ces deux communautés. Tandis que les queers et trans de couleurs de peau ont ainsi participé grandement à la lutte des droits des homosexuel.le.s dans les années 70, force est de constater qu'iels sont souvent évincé.e.s dans les histoires, fictionnelles ou véridiques comme dans le film Stonewall (2015).
Depuis plusieurs années, la tendance dans les médias étasuniens évoluent, quand les transgenres étaient présenté.e.s dans les talk-shows 90's comme des bêtes de foire, leur présence ne justifie plus enfin la fibre du sensationnel. De même, quand les personnes trans étaient par exemple surreprésentées par la profession de prostituée dans les séries [3], la donne semble enfin s'inverser. Ne soyons pas toutefois nai.f.ve.s. Si ce changement a eu lieu, c'est aussi et surtout parce que la communauté a incorporé le système de production afin de battre en brèche les stéréotypes trop longtemps mis en image. Le succès de Lavern Cox pour son rôle de Sophia Burset dans Orange is the new black est une victoire. Mais la révolution n'est pas terminée et « This Revolution Will Be Televised ».
Documentaire d'utilité publique, Disclosure: Trans Lives on Screen aurait sans doute gagné à s'intéresser davantage aux productions étrangères, les rares extraits de films en langue non anglaise étant juste présentés en guise d'illustration. Qu'importe. Sam Feder et les témoignages recueillis dénoncent avec précision les discriminations dont furent victimes les transgenres dans leurs représentations à l'écran, comme le fit vingt-cinq ans plus tôt Rob Epstein et Jeffrey Friedman avec The Celluloid Closet avec le thème de l'homosexualité.
Production : Sam Feder, Amy Scholder
Avec : Laverne Cox, Susan Stryker, Alexandra Billings, Jamie Clayton, Chaz Bono, Alexandra Grey
Musique : Francesco Le Metre
Directeur de la photographie : Ava Benjamin Shorr
Montage : Stacy Goldate
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[1] Usuels acronymes anglophones pour définir respectivement les transgenres hommes (Female-to-Male) et les transgenres femmes (Male-to-Female).
[2] TERF pour Trans-exclusionary radical feminist ou des supposées féministes qui excluent volontairement dans le cadre des luttes pour le droit des femmes les femmes transgenres. L'une des dernières représentantes a s'être fait connaitre n'est autre que J. K. Rowling, connue pour ses récents Tweets transphobes et qui est l'autrice de Troubled Blood (2020), cinquième volet de la série Cormoran Strike, mettant en scène un tueur en série se travestissant en femme (sic).
[3] Les amat.eur.rice.s de série télé apprécieront aussi la surreprésentativité des personnes trans assassinées ou atteintes d'un cancer à cause de leur traitement hormonal dans les séries policières et médicales.
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