Fleurs d'équinoxe (Higanbana) - Yasujiro Ozu (1958)

Reconnu de son vivant comme un des maîtres du cinéma japonais par ses compatriotes, Yasujiro Ozu, à la différence de l'autre figure nationale incontournable nommée Akira Kurosawa, aura finalement dû attendre le crépuscule de son existence pour que ses réalisations connaissent enfin un début de reconnaissance en dehors de l'archipel qui l'a vu naître [1]. Plus intimiste dans ses histoires, témoin des bouleversements de la société nippone d'après-guerre et leurs conséquences sur la famille, Ozu se distingue de ses pairs par la simplicité et la sobriété évidente de sa mise en scène, lui conférant le sobriquet (et raccourci) d'être « le plus japonais des cinéastes ». 

Quarante-cinquième long métrage de son auteur, Fleurs d'équinoxe marque une évolution notable dans sa filmographie. Celui qui réfutait l'utilisation du Cinémascope, cède aux pressions du studio [2] de la Shôchiku Eiga, et tourne pour la première fois en couleurs (à l'instar de ses cinq prochains et derniers films, le maître étant finalement convaincu des possibilités techniques et esthétiques du procédé). Choix loin d'être anodin, sa préférence se porte sur une caméra Agfa. Cette dernière lui permet un meilleur rendu du rouge, soit le leitmotiv pictural du métrage, et la couleur de la fleur qui prête son nom au film.

 
 
Wataru Hirayama (Shin Saburi) est un homme d'affaires de Tokyo très souvent sollicité, par ses amis et collègues de travail, pour obtenir conseils et aide. Cadre supérieur fermement attaché à ses valeurs conservatrices, l'homme apparait néanmoins en public critique vis à vis de certaines traditions et en particulier celle du mariage arrangé dont il fut, lui et son épouse, victime. Tenant auprès de ses amis un discours progressiste sur l’amour et le mariage, son impartialité et son caractère conciliant sont recherchés pour dénouer les problèmes et les difficultés que connaissent les anciennes générations avec leurs filles qui n'acceptent pas leur ingérence dans leurs vies intimes. Un jour, Hirayama reçoit dans son bureau la visite d'un dénommé Maniguchi (Keiji Sada) qui demande la main de sa fille aînée Setsuko (Ineko Arima). Wataru est sous le choc. Il avait déjà trouvé un prétendant pour Setsuko et supporte difficilement de ne pas avoir été informé des intentions de sa fille. La décision d’Hirayama est irrévocable : il refuse que sa fille épouse l’homme qu’elle aime. Il tente toutefois d'en savoir plus sur ce Taniguchi...

Portrait d'une famille en mutation, décrit sous l'angle du père de famille tiraillé entre les traditions et la modernité, Fleurs d'équinoxe fait écho à une époque où les mariages arrangés étaient de plus en plus contestés au Japon. Homme de son temps et spectateur de la société, Ozu s'éloigne du cadre mélodramatique de son précédent film, Crépuscule à Tokyo, et adopte un ton plus léger, humoristique par moment, à l'image des couleurs pastels qui composent ce « drame doux ».

 

Entre nostalgie et fatalisme, le personnage d'Hirayama observe ainsi la transformation de son quotidien avec impuissance. Enrichi d'intermèdes illustrant les changements du pays depuis la fin de la guerre, des paysages du Japon éternel au développement industriel de l'archipel, le film suit les premières fractures de la société patriarcale nippone. Acteurs de ce bouleversement, ou plutôt actrices de ce glissement vers une plus grande équité, les femmes sont le moteur de cette révolution en marche : des jeunes filles refusant l’archaïsme de leurs aînés, à la mère (Kinuyo Tanaka) pointant du doigt les contradictions de son époux.

Fidèle à sa mise en scène minimaliste et son rythme lent, le style du cinéaste est reconnaissable avec ses plans fixes filmés « au ras du tatami ». Nullement rattachée à un quelconque théâtre filmé, cette méthode évoque au contraire des tableaux vivants où les personnages prendraient soudainement vie. Aucun mouvement de caméra ne vient perturber le cadre. Et comme souvent chez les grands réalisateurs, c'est au montage, lui même d'une rare sobriété, qu'il appartient au metteur en scène d’apposer sa touche finale

Soutenu par son brillant trio d'acteurs, Fleurs d'équinoxe est ressorti dans les salles ce mercredi en copie restaurée, en attendant celle de Bonjour et Fin d'Automne le 30 avril. A noter également une future rétrospective Ozu du 23 avril au 25 mai à la Cinémathèque française.
  




Higanbana (Fleurs d'équinoxe) | 1958 | 117 min
Réalisation : Yasujiro Ozu
Scénario : Kogo Noda et Yasujiro Ozu d’après l'œuvre de Ton Satomi
Avec : Shin Saburi, Kinuyo Tanaka, Ineko Arima, Yoshiko Kuga, Keiji Sada, Chishu Ryu, Fujiko Yamamoto
Musique : Kojun Saito
Directeur de la photographie : Yuharu Atsuta
Montage : Yoshiyasu Hamamura
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[1] Un de ses derniers films, Dernier caprice (Kohayagawa-ke no aki), fut en compétition officielle au Festival de Berlin en 1962.

[2] A noter qu'Ozu aura attendu la moitié des années 1930 pour tourner enfin des films sonorisés !

2 commentaires:

  1. Ton texte me donne envie de le revoir... A l'époque de la K7 vidéo, j'ai regardé tout ce que possédait la médiathèque, par ordre chronologique et j'ai passé de très bons moments, même si ce sont des films lents.

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    1. C'est clair que le cinéma japonais traditionnel et en particulier celui d'Ozu ne brille pas par sa frénésie.
      Cela dit, ce film d'Ozu ne m'a paru si lent que ça... c'est l'avantage aussi d'être à deux quand on regarde ce genre de film, on peut aussi interagir :-)

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