Présenté en 1988 à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, La fille du Nil de Hou Hsiao-hsien marque une parenthèse dans la première partie de la filmographie du Taïwanais. Tourné juste après sa tétralogie autobiographique, Les garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un Temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986), ce neuvième long-métrage, dont l'action se déroule dans le Taipei contemporain des années 80's, peut également se situer, en préambule, comme une transition sociologique avant la trilogie historique [1] que réalisera Hou Hsiao-hsien entre 1989 et 1995. En écho avec la rétrospective initiée par Carlotta l'année dernière en août 2016, qui regroupait cinq œuvres de jeunesse du cinéaste en version restaurée, s'adjoint au coffret Blu-ray et DVD [2] qui sort ce 8 novembre, ce sixième film, La fille du Nil.
Suite aux décès conjoints de sa mère et de son grand frère, et à l'absence prolongée de son père, Hsiao-yang (Yang Lin) s'occupe seule de sa famille. Entre son petit boulot dans un fast-food et ses cours du soir, la jeune femme doit également veiller à l'éducation de sa jeune sœur. En parallèle, son frère Hsiao-fang (Jack Kao), délinquant depuis des années, a ouvert avec ses amis un restaurant, avec l'appui de la mafia locale. Face à la brutalité du monde qui l'entoure, Hsiao-yang aime se réfugier dans la lecture du manga La Fille du Nil…
Photographie d'une jeunesse urbaine, La fille du Nil s'inscrit, de prime abord, dans la même veine que les précédents portraits intimistes réalisés par Hou Hsiao-hsien. Après avoir filmé des personnages issus des campagnes dans Les garçons de Fengkuei et Poussières dans le vent, leurs récits initiatiques et leurs plongées dans l'univers urbain coïncidant à la fois avec la perte de leur insouciance et leur entrée vers la maturité, HHH s'intéresse cette fois-ci aux jeunes citadins qui vivent en marge de la soudaine prospérité de la capitale Taïwanaise. Du scénario écrit par sa fidèle collaboratrice, la romancière Chu T'ien-wen, le réalisateur capte avec précision les frustrations et les illusions perdues d'une jeunesse qui tente de profiter, coûte que coûte, des maigres miettes que le miracle économique veut bien leur laisser. Quitte, dès lors, à s'en brûler les ailes à l'instar de Hsiao-fang et de son ami San.
Fort de son assise documentaire, la mise en scène de HHH plonge le spectateur au plus près des personnages. De ses reconnaissables plans fixes empruntés au maître japonais Ozu, la caméra de HHH accompagne par la suite les pérégrinations de Hsiao-yang à travers la jungle urbaine, quittant les espaces confinés de la demeure familiale pour d'autres lieux exigus comme les discothèques aux néons criards.
Film hybride dont l'ambition était de concilier de l'aveu du réalisateur prétention plus commerciale, l'héroïne est interprétée par Lin Yang, star de la chanson taïwanaise, à l'instar des trois premiers films de HHH qui comptaient les stars populaires Kenny Bee et Feng Fei-fe, et traitement plus réaliste et plus émotionnel, La fille du Nil s'écarte toutefois, on l'aura noté, peu des thèmes personnels du cinéaste. Mieux, les connaisseurs du cinéma de HHH, noteront, en sus de la présence de l'acteur Jack Kao [2], qui signait ici sa première collaboration avec le réalisateur de La Cité des douleurs, que ce neuvième long-métrage se présente également comme l'esquisse du futur Millenium Mambo (2001). Relecture contemporaine de La fille du Nil à l'ère du capitalisme sauvage des années 2000's, Millenium Mambo se focalisait sur cette nouvelle génération Taïwanaise, avec en guise de liaison, Jack Kao dont le personnage pouvait apparaître comme une variation de ce qu'aurait pu devenir Hsiao-fang.
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Crédit Photos : © 1987 Scholar Multimedia Co., LTD. / © 2015 TAIWAN FILM INSTITUTE. Tous droits réservés.
Ni luo he nu er (La fille du Nil) | 1987 | 93 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Hou Hsiao-hsien
Production : Lee Hsien-chang, Chang Hwa-kun
Scénario : Chu T'ien-wen d'après une histoire de Huang Chien-ho et Angelika Wang
Avec : Yang Lin, Jack Kao, Yang Fan, Li Tian-lu, Tsui Fu-sheng, Vega Tsai, Hsin Shu-fen, Wu Nien-jen, Yu An-shun
Musique : Chang Hung-yi, Chen Chi-yuan
Directeur de la photographie : Chen Huai-en
Montage : Liao Ching-song
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[1] La Cité des douleurs (1989), Le maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995).
[2] Un coffret comprenant en guise de suppléments : cinq préfaces de Jean-Michel Frodon, trois analyses réalisées par Cristina Alvarez López et Adrian Martin, et une analyse complète signée par Jean Douchet.
[3] A noter qu'il s'agit également de la deuxième participation de Li Tian-lu dans le rôle du patriarche après celle dans Poussières dans le vent, en attendant La cité des douleurs, et la biographie que lui consacrera HHH dans Le maître de marionnettes.
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