Gimme Danger - Jim Jarmusch (2016)

Deux décennies après Year of the Horse (1997) consacré au loner Neil Young, Jim Jarmusch, cinéaste empreint de contre-culture, revenait en 2016 sous la forme documentaire à ses premiers émois rock adolescents. D'une amitié née il y a une vingtaine d'années, au gré de ses diverses collaborations avec James Osterberg, dit Iggy Pop, leurs chemins se sont de nouveau croisés [1] courant 2013 (après le tournage du précédent long-métrage de Jarmusch, Only Lovers Left Alive) afin de recueillir les confidences et autres souvenirs du dernier membre vivant de la formation culte nommé The Stooges. Présenté hors compétition au Festival de Cannes lors des séances de minuit, Gimme Danger [2] retrace ainsi, et pour la première fois, l'histoire d'un des plus influents groupes de rock. De leur début en 1967 à leur séparation en 1974, jusqu'à leur reformation officielle en 2003. Rien de moins.

D'un classicisme formel assumé, loin, très loin du chaos et maelstrom associés à la formation d'Ann Arbor, Gimme danger n'a nulle vocation première à jouer les trouble-fête en matière de documentaire. Soucieux de réaliser un hommage sincère aux Stooges, Jarmusch fait débuter son documentaire en 1973, lors de leur dernière tournée étasunienne, quand les Stooges en perdition et en mode autodestructeur écumaient les clubs, contre un public hostile de bikers, avant l'arrêt définitif l'année suivante, Iggy et la fratrie Asheton retournant chez leurs parents respectifs. En aparté, on ne saurait trop conseiller à ce titre aux néophytes et aux autres de tendre une oreille sur le pirate semi-officiel Metallic K.O. qui regroupent des extraits des concerts apocalyptiques au Michigan Palace de Detroit du 6 octobre 1973 et du 9 février 1974 (dernier concert des Stooges avant leur reformation de 2003).
 
Témoin principal de Gimme danger, James 'Iggy Pop' Osterberg s'approprie évidemment une place centrale dans le récit de l'épopée des Stooges, de ses premiers groupes en qualité de batteur (dont The Iguanas) à Ann Arbor puis New-York, avant sa révélation et son souhait d'occuper désormais le poste de chanteur devant sa lassitude à ne mater que des fessiers derrière sa batterie. Ponctué d'images d'archives, le long entretien accordé par l'Iguane est enrichi d'interviews des anciens membres des Stooges [3], les guitaristes Ron Asheton et James Williamson, le batteur Scott Asheton, le saxophoniste Steve Mackay et le bassiste Mike Watt. Les vidéos d'époque faisant cruellement défaut (la fameuse prestation du groupe enregistrée par la télévision lors du Cincinnati Pop Festival en 1970 revient plusieurs fois en guise de leitmotiv), Jarmusch en profite pour glisser, souvent de manière humoristique, plusieurs extraits de films, émissions TV ou dessins animés signés par l'adepte du collage James Kerr, en sus des anecdotes des divers protagonistes (au hasard, le coup de téléphone donné par Ron Asheton à Moe Howard des Trois Stooges afin d'obtenir la permission d'utiliser le terme Stooges).

Portait intimiste d'un des précurseurs du punk tel que le souhaitait dès son origine Jarmusch, Gimme danger évite le piège de la stérile et habituelle autocélébration, avec son cortège de musiciens et autres rock critics louant et glorifiant plus que nécessaire l'influence notable qu'ont pu avoir les Stooges (Jarmsuch préfère présenter, sans autres commentaires, en fin de documentaire une liste non exhaustive de groupes, ou plutôt de pochettes d'album, dont les auteurs se revendiquèrent de l'héritage de ces vauriens d'Ann Arbor). Au lieu de cela, le cinéaste invite deux proches témoins, Kathy Asheton, sœur de Ron et Scott, et Danny Fields, futur manager des Ramones, et responsable de la signature des Stooges et du MC5 sur la major Elektra. Seul bémol, il aurait sans aucun doute été intéressant de confronter les avis passés et présents des protagonistes, enfin si de tels documents avaient un jour existé... 

De par la nature même de ce projet, Gimme Danger s'abstient dès lors de toutes critiques, ce qui n'empêchera pas quelques mauvais esprits, dont le préposé ici présent, de mettre en doute certaines assertions proférées par le chanteur, en particulier les raisons qui le poussèrent à reformer les Stooges [4]. Mais la vraie déception de ce louable documentaire est sans conteste l'espace accordé à la musique des Stooges. Car si celle-ci occupe bien l'espace sonore, rares sont les explications et autres confidences, à l'exception du premier disque, sur les enregistrements de Fun House et Raw Power. Quid du producteur Don Gallucci qui permit à quatre musiciens de graver un des disques les plus abrasifs que le rock ait connu ? [5] Aux oubliettes les histoires à propos des différents mixages de l'album de 1973, du premier mix foireux de Pop, à celui de Bowie, en passant par le remix de 1997. Etc. Frustrant.

Un bon documentaire qui laisse, on l'aura compris, un goût d'inachevé. A réserver davantage aux néophytes.





Gimme Danger | 2016 | 108 min | Couleurs et N&B
Réalisation : Jim Jarmusch
Scénario : Jim Jarmusch
Avec : Iggy Pop, Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson, Steve Mackay, Mike Watt,
Kathy Asheton, Danny Fields
Montage : Affonso Gonçalves, Adam Kurnitz
Direction de la photographie : Tom Krueger
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[1] Après leurs précédents projets communs, le court-métrage Coffee and Cigarettes (1993) puis deux ans plus tard Dead Man.

[2] Jim Jarmusch qui présentait en compétition officielle la même année à Cannes son long-métrage Paterson avec Adam Driver.

[3] Les plus anciennes ont sans nul doute été enregistrées peu de temps avant la disparition de Ron Asheton en 2009.

[4] Petit rappel des faits. A l'initiative du film Velvet Goldmine de Todd Haynes, Ron Asheton intégra le groupe Wylde Ratttz accompagné de Mike Watt, Ron Asheton, et la paire Thurston Moore/Steve Shelley de Sonic Youth pour une reprise de TV Eye. Deux ans plus tard, J Mascis de Dinosaur Jr, Mike Watt et Ron Asheton tournent et jouent ensemble des reprises des Stooges. En parallèle, Pop collectionne les déconvenues commerciales (justifiées ou non à l'image de l'estimable Avenue B), quand en 2003, celui-ci décide, tout benoitement (?!), de reformer les Stooges pour son album Skull Ring : "j'ai proposé de faire un disque avec des guest stars. J'ai fait la liste de tous les gens que je trouvais cool, mais pas un n'était aussi cool que les Stooges" (quatre nouvelles chansons furent enregistrées pour l'occasion), avant une tournée mondiale et la reformation officielle, avec le remplacement de Ron Asheton par le jeune retraité James Williamson après la disparition du guitariste. Sic.   

[5] En guise de précieux témoignage, Rhino fut à l'initiative de la sortie de 1970: The Complete Fun House Sessions ou l'intégralité de la session d'enregistrement de l'album culte avec dialogues et faux-départs inclus.
 

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