Le disque proposé, et ce qui en découle autour, a rappelé au préposé que, parfois, les artistes ont honte de leurs productions passées. A titre d'exemple, bon nombre de groupes issus des 60’s et 70’s se sont vautrés, avec des fortunes diverses, dans le stupre aseptisé des 80’s. Non contant de nous rappeler au bon souvenir du bontempi et du délicieux son de la caisse claire, les plus chanceux firent au moins sonner le tiroir-caisse (ce qui a ses avantages, avouons-le), alors que pour d’autres, les 80’s allaient au contraire ressembler à un très long passage à vide (has been, vous avez dit has been ?), en attendant une éventuelle rédemption au cours des 90’s. Toutefois admettons que si certains, en cédant aux sirènes d’une production caricaturale symptomatique des 80’s (de la new-wave fadasse au grotesque hard FM), se sont plantés sur les deux tableaux, les 80’s n'ont pas, à elles seules, le monopole de la pantalonnade. Elles n’ont en rien gâchées ou perverties dans l’ensemble la plupart des disques de ces vieilles gloires dont le premier responsable est en premier lieu l’artiste [1]. En somme, deux décennies après, si le résultat ressemble dans la majeure partie des cas à un vomitif puissant ou à une mauvaise blague, certains artistes pourront toujours se remémorer la larme à l’œil (et le nez pincé en option) de l’excellente affaire commerciale effectuée quelques années plus tôt. Mais, comme écrit plus haut, les 80’s n’ont pas l’apanage du retournement de veste.
Bref, les années 70 ont aussi leur lot de casseroles (le contraire aurait été étonnant), dont l’exemple ici présent : Lizard de King Crimson. Ainsi, dans la famille, « j’avoue un détachement certain quant à la réédition de certains disques du passé », nous citons à la barre Robert Fripp (cette annonce pourra aller de pair avec divers accompagnements sonore : tapez dans vos mains, sortez les cuivres, etc… ça n’en a pas l’air, mais ceci est un spoiler). A défaut de déchaîner les passions ou les diatribes entre les rock critiques et les fans, Lizard est un cas d'école. D’un côté vous avez son géniteur, tout du moins le responsable principal, Robert Fripp, et de l’autre un microcosme adepte du rock progressif qui contrairement au guitariste lui trouve énormément de qualité.
Commençons par un peu de provocation gratuite, toute personne qui a un minimum de culture rock se doit de connaître le premier album de King Crimson, In the Court of Crimson King, datant de 1969, pierre angulaire d’un nouveau courant (et véritable boîte de Pandore musicale pour certains) qui enfantera une ribambelle de nouvelles formations au pouvoir de nuisance avérée. A travers cette nouvelle grammaire rock, qui s’en allait puiser à la fois vers le jazz, la musique classique, voire un soupçon de blues et une pincée de folk, le tout emporté avant tout par un fort désir d’expérimentations, King Crimson ouvrait donc la voie en cette dernière année des 60’s à un des genres les plus populaires de la prochaine décennie (tout du moins la première moitié). Voici pour les présentations.
En un peu plus d’un an, la formation enregistre pas moins de trois albums (vous me direz, pour l’époque, rien d’extraordinaire…). Une productivité qui masque un groupe déjà au bord de la crise de nerf, où les guerres intestines entre les musiciens atteignent un niveau acceptable pour une jeune formation (il ne reste plus que Fripp et le parolier Peter Sinfield). Adieu Ian McDonald, les frères Michael et Peter Giles et autre Greg Lake (pour notre plus grand malheur serait-on tenté de dire, ce dernier étant le Lake du terrible Emerson, Lake & Palmer… Non parce que bon, c’est facile de se moquer de Yes, mais en matière de prog, ELP représente tout ce qu’on aime détester dans ce style musical...).
A partir d’aout 1970, King Crimson va donc ouvrir le chapitre trois de ses aventures discographiques. Fripp, désormais seul maître à bord, décide d’enregistrer un des albums les plus… « originaux » du Crimson. Dans un premier temps, le fait de vouloir se démarquer des deux albums précédents était une entreprise plus que louable (l’un des défauts du deuxième album, In the Wake of Poseidon, étant sa trop grande ressemblance avec son prédécesseur, ce qui s’explique facilement puisque la composition de ces deux LP date de la même période). Sauf que notre ami Fripp, et ce qui fait de Lizard un disque apprécié par les esthètes du prog catégorie élitiste, décide d’enrichir grassement les arrangements pour atteindre un niveau élevé de préciosité et d’emphase (avec son lot de cuivre : trompette, cor anglais, saxophone et trombone) qui fera lui aussi pas mal d’émule. Vous pensiez tout comme moi que l’une des forces et spécificité de King Crimson est de n’avoir jamais versé dans le pompier, le baroque, le Grand-Guignol. Et bien Lizard est là pour nous démontrer le contraire. Ceci dit, la pochette et ses fausses enluminures moyenâgeuses pouvaient déjà nous mettre la puce à l’oreille. A ce propos, l’ambiance moyenâgeuse qui sert plus ou moins de ligne directrice à l’album n’est pas mauvaise en soi, sauf que la forme handicape énormément l’album. Autre point important, la place prédominante des claviers, autre « originalité » crimsonienne (les claviers étant tenus par Fripp et Keith Tippett, on évite néanmoins les « fulgurances » d’un Rick Wakeman ou du sinistre Keith Emerson).
Que reste-t-il alors de bon, tout du moins d’intéressant sur Lizard ? Tout d’abord le premier titre, Cirkus, et son menaçant mellotron (Frippien), qui nous rappelle au bon souvenir des ambiances crimsoniennes passées, avec de belles interventions à la guitare acoustique puis au saxophone (nappes de claviers tragiques évoquant Epitath du premier album). Comme entrée en matière, Lizard, ressemble à un beau piège, où finalement à une déception. On passera rapidement sur les deux titres suivants, certes les textes de Sinfield sont teintés d’humour, Happy Family s’inspirant ironiquement de la dissolution des Fab Four, mais alors musicalement, disons qu’accompagner un texte humoristique avec une pièce montée musicale trop riche s’apparente à un ratage, du moins à un essai maladroit. Après un petit coup de flûte de Mel Collins sur Lady of the Dancing Water, où Gordon Haskell nous refait une redite de Cadence and Cascade de l’album précédent, voici enfin le plat de résistance, Lizard.
Au début de cette looooooooonnnnnngue chronique (deuxième paragraphe), le préposé vous demandait de frapper dans vos mains, vous pouvez dès à présent y ajouter des « lalala ». Pourquoi ? Lizard, comme tout bon morceau fleuve est pourvu de plusieurs parties imbriquées, avec comme fil conducteur un thème mélodique accrocheur (sauf que là, il est plutôt absent le fil conducteur). Dans la première partie, nommée Prince Rupert Awakes, on frise le ridicule (désolé il y a un temps pour tout, autant y aller franco), la goutte d’eau étant donc les « lalala » et les applaudissements. Pas de bol pour Jon Anderson de Yes, ce dernier joue les guests de passage. La deuxième partie, nommée Bolero: The Peacock's Tale, comme j’ai pu le lire fort justement, s’inspire (enfin par moment) du Sketches of Spain de Miles Davis. On a vu pire comme référence. Et il serait de mauvaise foi de ne pas apprécier l’un des premiers thèmes qui se dégage de cette partie (qu’on retrouvera plusieurs fois par la suite). Mais la cohésion fait cruellement défaut, les passages jazz ne sont pas mauvais, mais ils n’apportent rien, tout comme la troisième et principale partie, The Battle of Glass Tears, trop classieuse, et une redite du passé en version ultra pompier. Finalement, il faudra attendre la vingtième minute (aïe), pour avoir enfin une intervention digne de ce nom de Fripp avec son numéro de guitare vicieuse, sombre et tortueuse (pour deux minutes seulement !), Lizard se finissant par une minute de musique joyeusement foutraque (au point où on en est…).
A l’heure du bilan (car il va bien falloir conclure), on peut comprendre sinon les réticences, du moins le désintérêt qu’a pu avoir Robert Fripp lors de la remasterisation de la bête, sans compter qu’étant le seul maître à bord à l’époque, Fripp en est le seul fautif.
Enfin, comme dit l’adage populaire, les erreurs nous font avancer, et c’est ce qu’on pourra constater à l’écoute du prochain LP de King Crimson, le mésestimé et chaotique Islands.
[1] Quand un disque est mauvais, il reste mauvais quel que soit les artifices que vous mettez autour (exemple type : Life de Neil Young, même avec une meilleure production, difficile de retenir quelque chose de cette… chose)
Bref, les années 70 ont aussi leur lot de casseroles (le contraire aurait été étonnant), dont l’exemple ici présent : Lizard de King Crimson. Ainsi, dans la famille, « j’avoue un détachement certain quant à la réédition de certains disques du passé », nous citons à la barre Robert Fripp (cette annonce pourra aller de pair avec divers accompagnements sonore : tapez dans vos mains, sortez les cuivres, etc… ça n’en a pas l’air, mais ceci est un spoiler). A défaut de déchaîner les passions ou les diatribes entre les rock critiques et les fans, Lizard est un cas d'école. D’un côté vous avez son géniteur, tout du moins le responsable principal, Robert Fripp, et de l’autre un microcosme adepte du rock progressif qui contrairement au guitariste lui trouve énormément de qualité.
Commençons par un peu de provocation gratuite, toute personne qui a un minimum de culture rock se doit de connaître le premier album de King Crimson, In the Court of Crimson King, datant de 1969, pierre angulaire d’un nouveau courant (et véritable boîte de Pandore musicale pour certains) qui enfantera une ribambelle de nouvelles formations au pouvoir de nuisance avérée. A travers cette nouvelle grammaire rock, qui s’en allait puiser à la fois vers le jazz, la musique classique, voire un soupçon de blues et une pincée de folk, le tout emporté avant tout par un fort désir d’expérimentations, King Crimson ouvrait donc la voie en cette dernière année des 60’s à un des genres les plus populaires de la prochaine décennie (tout du moins la première moitié). Voici pour les présentations.
En un peu plus d’un an, la formation enregistre pas moins de trois albums (vous me direz, pour l’époque, rien d’extraordinaire…). Une productivité qui masque un groupe déjà au bord de la crise de nerf, où les guerres intestines entre les musiciens atteignent un niveau acceptable pour une jeune formation (il ne reste plus que Fripp et le parolier Peter Sinfield). Adieu Ian McDonald, les frères Michael et Peter Giles et autre Greg Lake (pour notre plus grand malheur serait-on tenté de dire, ce dernier étant le Lake du terrible Emerson, Lake & Palmer… Non parce que bon, c’est facile de se moquer de Yes, mais en matière de prog, ELP représente tout ce qu’on aime détester dans ce style musical...).
A partir d’aout 1970, King Crimson va donc ouvrir le chapitre trois de ses aventures discographiques. Fripp, désormais seul maître à bord, décide d’enregistrer un des albums les plus… « originaux » du Crimson. Dans un premier temps, le fait de vouloir se démarquer des deux albums précédents était une entreprise plus que louable (l’un des défauts du deuxième album, In the Wake of Poseidon, étant sa trop grande ressemblance avec son prédécesseur, ce qui s’explique facilement puisque la composition de ces deux LP date de la même période). Sauf que notre ami Fripp, et ce qui fait de Lizard un disque apprécié par les esthètes du prog catégorie élitiste, décide d’enrichir grassement les arrangements pour atteindre un niveau élevé de préciosité et d’emphase (avec son lot de cuivre : trompette, cor anglais, saxophone et trombone) qui fera lui aussi pas mal d’émule. Vous pensiez tout comme moi que l’une des forces et spécificité de King Crimson est de n’avoir jamais versé dans le pompier, le baroque, le Grand-Guignol. Et bien Lizard est là pour nous démontrer le contraire. Ceci dit, la pochette et ses fausses enluminures moyenâgeuses pouvaient déjà nous mettre la puce à l’oreille. A ce propos, l’ambiance moyenâgeuse qui sert plus ou moins de ligne directrice à l’album n’est pas mauvaise en soi, sauf que la forme handicape énormément l’album. Autre point important, la place prédominante des claviers, autre « originalité » crimsonienne (les claviers étant tenus par Fripp et Keith Tippett, on évite néanmoins les « fulgurances » d’un Rick Wakeman ou du sinistre Keith Emerson).
Que reste-t-il alors de bon, tout du moins d’intéressant sur Lizard ? Tout d’abord le premier titre, Cirkus, et son menaçant mellotron (Frippien), qui nous rappelle au bon souvenir des ambiances crimsoniennes passées, avec de belles interventions à la guitare acoustique puis au saxophone (nappes de claviers tragiques évoquant Epitath du premier album). Comme entrée en matière, Lizard, ressemble à un beau piège, où finalement à une déception. On passera rapidement sur les deux titres suivants, certes les textes de Sinfield sont teintés d’humour, Happy Family s’inspirant ironiquement de la dissolution des Fab Four, mais alors musicalement, disons qu’accompagner un texte humoristique avec une pièce montée musicale trop riche s’apparente à un ratage, du moins à un essai maladroit. Après un petit coup de flûte de Mel Collins sur Lady of the Dancing Water, où Gordon Haskell nous refait une redite de Cadence and Cascade de l’album précédent, voici enfin le plat de résistance, Lizard.
Au début de cette looooooooonnnnnngue chronique (deuxième paragraphe), le préposé vous demandait de frapper dans vos mains, vous pouvez dès à présent y ajouter des « lalala ». Pourquoi ? Lizard, comme tout bon morceau fleuve est pourvu de plusieurs parties imbriquées, avec comme fil conducteur un thème mélodique accrocheur (sauf que là, il est plutôt absent le fil conducteur). Dans la première partie, nommée Prince Rupert Awakes, on frise le ridicule (désolé il y a un temps pour tout, autant y aller franco), la goutte d’eau étant donc les « lalala » et les applaudissements. Pas de bol pour Jon Anderson de Yes, ce dernier joue les guests de passage. La deuxième partie, nommée Bolero: The Peacock's Tale, comme j’ai pu le lire fort justement, s’inspire (enfin par moment) du Sketches of Spain de Miles Davis. On a vu pire comme référence. Et il serait de mauvaise foi de ne pas apprécier l’un des premiers thèmes qui se dégage de cette partie (qu’on retrouvera plusieurs fois par la suite). Mais la cohésion fait cruellement défaut, les passages jazz ne sont pas mauvais, mais ils n’apportent rien, tout comme la troisième et principale partie, The Battle of Glass Tears, trop classieuse, et une redite du passé en version ultra pompier. Finalement, il faudra attendre la vingtième minute (aïe), pour avoir enfin une intervention digne de ce nom de Fripp avec son numéro de guitare vicieuse, sombre et tortueuse (pour deux minutes seulement !), Lizard se finissant par une minute de musique joyeusement foutraque (au point où on en est…).
A l’heure du bilan (car il va bien falloir conclure), on peut comprendre sinon les réticences, du moins le désintérêt qu’a pu avoir Robert Fripp lors de la remasterisation de la bête, sans compter qu’étant le seul maître à bord à l’époque, Fripp en est le seul fautif.
Enfin, comme dit l’adage populaire, les erreurs nous font avancer, et c’est ce qu’on pourra constater à l’écoute du prochain LP de King Crimson, le mésestimé et chaotique Islands.
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[1] Quand un disque est mauvais, il reste mauvais quel que soit les artifices que vous mettez autour (exemple type : Life de Neil Young, même avec une meilleure production, difficile de retenir quelque chose de cette… chose)
J'en suis toujours à l'époque des albums avec Robert Fripp.
RépondreSupprimerben moi je l'aime bien ce disque. C clair que ce n'est pas le meilleur de la bande à fripp mais à mon avis il y a un paquet de groupe qui aimerait avoir des casseroles de ce niveau.
RépondreSupprimerMais je sais bien, mais on ne parle pas d'un obscure groupe de prog, on parle du Crimson!!!
RépondreSupprimerC'est juste un album "ordinaire", du prog basique en somme ou une magnifique feuille de route pour certains...
J'attendais autre chose en d'autre terme, pas de poncifs prog donc.
wooo quel pavé hihihi
RépondreSupprimerça fait plaisir d'avoir à nouveau de la (bonne)lecture :)))